Nous avançons. Nous y sommes. Peu de monde aux frontières, comme nous l’avions espéré. Nous n’allons donc pas trainer. Nous nous présentons, avec nos documents, au bureau-police. L’agent nous accueille avec un grand sourire. Sa courtoisie ne nous empêchera pas de poiroter une bonne demi-heure, avant de passer au bureau-douane. Mine défaite, sourire refoulé, le douanier s’exécute machinalement. Il nous remet vite fait nos documents. Nous le remercions. En guise de réponse, il hochait la tête et semblait nous dire : pour le sourire va falloir passer la matinée.

Djemila, Constantine,…Bouchebka

Il pleut la canicule en cette journée du jeudi 11 août. Rouler sur près de mille kilomètres d’asphalte,  sous un soleil de plomb déterminé à maintenir le mercure dilaté à son maximum,  ne va pas être une plaisante escapade. Qu’à cela ne tienne ! L’idée que Djerba, l’Ile des rêves, nous attend au terme du voyage atténue considérablement notre… « dégoutage ». En plus, et en remerciera jamais assez Willis Haviland, la clim est fonctionnelle.

Site historique romain de Djemila

Site historique romain de Djemila.

Après quatre heures de routes, et sous toujours le même soleil de plomb, nous contournons la ville de Sétif pour nous dégourdir les jambes, quelques kilomètres plus loin, dans la coquette « ville romaine » de Djemila. Le site est relativement bien entretenu mais quasiment désert. Les quelques personnes qui s’y trouvent   ne semblent pas emballées par les imposantes colonnes  plusieurs fois millénaire : affalées autour de nappes, elles préfèrent se rafraîchir le gosier  plutôt que de faire un tour du côté du mussée.  Le tourisme culturel est toujours une abstraction insaisissable  dans un pays  qui peine à réussir un « tourisme tout court ».

Contantine

Le pont de Sidi Rached – Constantine – Algérie.

Après une virée guidée dans le musée, nous reprenons la route vers l’île des rêves. Il va falloir encore traverser  quatre wilaya du pays, Mila, Constantine, Oum El Bouaghi, Ain Beida et enfin Tebessa, la wilaya frontalières. Cela fait un bon moment depuis que Dieu Soleil s’est couché et la canicule a baissé considérablement.  La clim est  mise en veilleuse. Petite halte à El Khroub, histoire de se rafraichir. Encore quelques 350 kilomètres de bitume à grignoter, avant d’arrivée à  Bouchebka, dernière localité vert blanc et rouge.  Nous y arrivons  aux environs de minuit. A cette heure-ci de la nuit, le village est toujours éveillé. Des jeunes et moins jeunes investissent le bitume et exhibent des dinars tunisiens et l’euro à échanger contre le dinar algérien, dès qu’un véhicule en direction du poste frontalier pointe du nez.

Nous avançons. Nous y sommes. Peu de monde aux frontières, comme nous l’avions espéré. Nous n’allons donc pas trainer. Nous nous présentons, avec nos documents, au bureau-police. L’agent nous accueille avec un grand sourire. Sa courtoisie ne nous empêchera pas de poiroter une bonne demi-heure, avant de passer au bureau-douane. Mine défaite, sourire refoulé, le douanier s’exécute machinalement. Il nous remet vite fait nos documents. Nous le remercions. En guise de réponse, il hochait la tête et semblait nous dire : pour le sourire va falloir passer la matinée.

Frontière algero-tunisienne Bouchebka - Tunisie

Frontière algero-tunisienne Bouchebka – Tunisie.

Bouchebka, Gafsa, Gabes… Jorf

La police frontière tunisienne est encore plus lente. C’est à croire que ce sont des agents-escargots qui y’«sévissent».
Fiche d’embarcation, police, douane…  prendront largement plus d’une heure. Pourtant, pas plus de cinq voyageurs devant les guichets.

En route vers le sud de la Tunisie. Il est un peu plus de deux heures. La fatigue est au rendez-vous, mais nous préférons rouler à la faveur de la relative fraicheur, plutôt que de se reposer et d’être pris au piège par la canicule.

Nous traversons Gafsa, chef-lieu du premier gouvernorat de Tunisie que nous traversons. L’envie de prendre un café est supplantée par la « bouhriture ». Nous ne nous arrêtons donc pas. Aux environs  de neuf heures, nous arrivons à Gabes, deuxième chef-lieu du gouvernorat.
Là, nous nous arrêtons pour prendre un café et pour, surtout, appeler Ɛemmi Salah

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Salah Benayad Ben Mahmoud, notre hôte de Guellala.

(voir portrait) notre hôte de Guellala où nous sommes invités pour y donner une conférence à propos de l’état des lieux de l’enseignement de tamazight et des médias d’expression amazighe en Algérie. Nous l’aurons au bout du fil, une fois le petit déjeuner expédié : « Azul … je vous attends à l’entrée de Houmet Souk pour vous conduire à vos « quartiers », nous dit-il au téléphone.

Djerba, l’ile de bauté

Cap sur Jorf, dans le gouvernorat de Medenine. Le soleil est plus que jamais décidé à nous « écraser ». Nous lui opposons Willis Haviland. Bien entretenue, la route ne nous pose aucun problème. Absorbés par Tiregwa de Lounis Ait Menguellet, nous nous sommes pas rendus compte que Jorf est à quelques cinq minutes. Nous y sommes. Plus que la traversée de la grande bleue pour nous retrouver à Ajim, première localité de Djerba. Trois bacs assurent la connexion entre l’ile de beauté et le « continent ». Nous embarquons, après plus d’une heure de queue leu leu. L’agréable traversée dure un bon quart d’heure. Nous aurions aimé qu’elle n’en finisse pas. Débarqués, nous prenons la route de Houmet Souk. Vingt minutes après, nous reconnaissons ɛemmi Salah qui nous faisait signe à l’entrée de la ville. Il nous accueille avec des bouteilles d’eau minérale fraiche et un sourire grand comme ça. Le soleil de plomb nous oblige à ne pas trainer et à rejoindre au plus vite notre appart. Nous y serons, quelques minutes après. Ɛemmi Salah nous fait visiter. Sanitaires et douche  impec.

Bahi ?  nous interroge notre hôte.
– C’est plus que  bahi ɛemmi Salah !
– Je vous laisse vous reposer. Rendez-vous demain à Guellala

Guelala « l’utopique »

Le lendemain, 9h30mn, nous sommes à Guellala où est prévue la rencontre avec imazighen de Djerba.  La localité et ses environs sont renommés pour être la pépinière  de potiers. D’où  le patronyme Guellala, mot d’origine amaziɣ (déformation de « aqellal » qui veut dire cruche).

La salle des conférences de la municipalité est bondée. Hormis quelques femmes et quatre libyens conviés pour la circonstance, tous portent « lkedrun »,  une djelaba-symbole qui renseigne sur l’appartenance au rite ibadite de celui qui la porte. Oui, les Djerbis, notamment les Guellalis sont ibadites tout comme le sont les Mouzabites d’Algérie. D’ailleurs, nous apprendra ɛemmi Salah, Djerba est la destination préférée des Mouzabites. Ils ne s’y sentent certainement pas dépaysés.

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Nadia Hanani, enseignante à Sciences-Po de l’université Kairouan.

Après les présentations d’usage, le modérateur, le conservateur du musée de Guellala, invite  Nadia Hamami, enseignante des sciences politique à Kairouan, à prendra la parole. Sa conférence porte sur le devenir de l’Afrique du Nord. En substance, elle explique que le rayonnement de ce que l’on appelle aujourd’hui « elle Maghreb el arabi » ne sera effectif que le jour où l’on comprendra que « Oumma »  est un grand mensonge et que seule tamazight et le couscous cimentent les pays de l’Afrique du Nord.  La jeune Nadia Hamami originaire de Baja. Elle nous apprendra que jusqu’à la fin du cursus secondaire, elle se considérait arabo-musulmane et qu’il n’y avait rien à redire.  « Déjà dans mon patelin de paysans, et même si nous ne parlions pas tamazight, je m’étais rendu compte que, mis à part la religion, Baja ne partage rien avec la péninsule arabe ». Et c’est au contact  des Guellalis et d’autres amazighophones du sud de la Tunisie que le fossé entre Nadia Hamami et la oumma al-arabia s’est irrémédiablement élargi. « Je refuse la grande arnaque », nous dit-elle. Cet éveil de conscience identitaire l’a mise sur  la voie de la Reconquista d’une histoire plusieurs fois millénaire.

Au moment où l’on s’apprêtait à débattre des thématiques soumises à l’appréciation du  public, ɛemmi Salah, stoppera net notre enthousiasme : nous devions libérer la salle des conférences. C’est à l’extérieur que le débat aura lieu.  Wesam, un jeune libyen, journaliste et non moins militant de la cause amazighe,  s’est approché de nous pour nous saluer et, surtout, pour nous dire combien il est admiratif du combat et des avancées des Imazighen d’Algérie. Il nous fera part d’un projet qui lui tient à cœur : regrouper, dans un cadre à discuter,   les Imazighen de l’Afrique du Nord. Aussitôt l’idée de Wesam soumise à l’appréciation au cercle des « débateurs », aussitôt une profusion de propositions, plus utopiques les unes que les autres, vient soutenir et consolider l’idée de Wesam. Mais, même si « lecghal n l’Afrique du Nord meqrit, nukni mezziyit », n’est-ce pas que beaucoup de belles choses sont parties d’une…utopie!

PORTRAIT

Salah Ben Ayad Ben Mahmoud,
le battant de 71 ans

Nous nous séparons, après la ferme détermination de rester en contact et d’alimenter l’idée de Wesam.
Ɛemmi Salah nous invite à déguster du poisson djerbi.

De son vrai nom Salah Ben Ayad Ben Mahmoud, Ɛemmi Salah est natif de Guelala. Il était conseiller juridique à Paris et fondateur de quelques associations dont ADF (Association Djerbie de France), avant de rentrer à Djerba est donner de son temps et de son énergie à la promotion de tamazight.
Son âge, 71 ans, ne l’empêche pas d’être sur tous les fronts.  Il est l’auteur de « L’Ile de Djerba, entre l’école ibadite et les origines amazighes ». A côté d’assurer des cours en tamazight, il anime une émission (en tamazight et à propos de tamazight) à Ulysse F.M, radio privée de Djerba, une radio décoincée (tant dans la forme que dans le fond) ciblant le plus large public et émettant, sans complexe  dans plusieurs  langues (arabe tunisien, le djerbi, français, italien). Ɛemmi Salah a compris la nécessité d’investir dans la jeunesse pour éveiller la conscience identitaire.
Et il y met tout son cœur.

à suivre