Au tout début du ungal (roman), écrire pour dire tamazgha (culture et, surtout, identité) a caractérisé la bibliographie romanesque d’expression amazighe.   Il était question d’affirmer l’appartenance à un peuple, une identité.

Les tout premiers romans étaient pour ainsi dire le prolongement scriptural de la militance, de la revendication identitaire qui, sur le terrain, avait atteint son paroxysme en avril 1980. Le premier arrivé, Asfel  de Rachid Aliche,  était un condensé d’images et de symboliques  amarrées à un humus, une culture, une histoire et  une identité recalés par un pouvoir  amblyope. Comme le titre choisi (Asfel) par Aliche le suggère, l’auteur semblait être conscient qu’il s’agissait d’une offrande à la divinité littéraire, une offrande qui avait montré  la voie à des dizaines de « ungal ».

Bien évidemment  Lwali n wedrar de Bélaid At Ali, qui avait entrepris d’écrire ses cahiers à partir de 1945, bien avant Asfel de Aliche, est considéré comme premier « ungal » écrit en kabyle. Sauf que Bélaid At Ali, cet inconditionnel de Proust, n’avait pas la conscience identitaire qu’avait Rachid Aliche.

Voie et voix « libérées » s’ensuivront des ungal qui pour la plupart, même s’ils ne collent pas à la récurrente thématique identitaire et auto-glorifiante, il n’en demeure pas moins qu’ils ne font cas que du groupe. L’individu y est réduit au silence

Il arrive que la bibliographie romanesque soit agréablement surprise par des ungalen qui sortent du lot. C’est le cas, entre autres, de Tiṭ d yilleḍ de Mohand Akli Salhi et de Karima, tafat-iw yexsin, de Malek Meniche . Ce dernier a sa touche particulière et intéressante en plus de s’extirper de l’ornière identitaire, il invite à « partager » l’intimité de l’auteur.

D’emblée, le signataire de la préface, Hamid Bilek (traducteur de Ad ḥerqeɣ lebḥer, éditions Imtidad, de Youcef Merahi (Je brûlerai la mer, Casbah éditions ) en l’occurrence, avoue : « welleh ma yeshel fell-i ad d-swejdeɣ kra n yijerriden n tira i wakken ad d-aruɣ ɣef udlis-agi yellan gar iffasen-iw, imi ula d taɣuri-ines ur iyi-teshil ara (il ne m’est pas facile d’entamer quelques lignes pour présenter ce livre, tant sa lecture m’est difficile).

Plus loin dans la préface, Bilek explique que la peine éprouvée à aborder la préface est justifiée non pas par la difficulté de « pénétrer » le texte, mais par les charges émotionnelles que le roman en dégage. Dès lors, on imagine le « préfacier », qui plus est connait la douleur de l’auteur, face à un exercice des plus sensitifs émotionnellement.

Dans Karima, tafat-iw yexsin , Malek Meniche, est contre toute attente, seulement il révèle  le vécu , le sien ; un vécu rempli d’amour, de peur, de tristesse, d’espoir…et de la mort.

Dans une langue non habituée à lever le voile sur « lbaḍna (secret)», Malek Meniche raconte sa rencontre avec sa femme Karima, leur amour paisible couronné par la naissance de Asirem, leur fils.

Il narre son amour pour Tafat, c’est ainsi que Malek (auteur/personnage ) appelle Karima, et son fils Asirem. Il y met des mots forts. Il ne s’arrête pas là, il joint le geste aux mots (ô sacrilège !).

« Ad temmeɣ ɣef temgerṭ-iw, ay i d-tini : nekk isem-iw Tafat, mačči Karima aṭunsyu. Karima d isem i yi-tefka yemma d baba asmi d-ujaqeɣ… (…) ma d talalit-iw n sseḥ, zriɣ asmi k-uɣeɣ i d-luleɣ, terniḍ tsemmaḍ-iyi tafat ( elle fait semblant de m’étrangler et dit : je m’appelle Tafat, pas Karima. Karima est le nom que mes parents m’ont donné, le jour où je suis venue au monde. Ma vraie naissance c’était le jour de notre union en sus de me surnommer Tafat (lumière))

Karima, Malek et Asirem baignaient dans le bonheur… jusqu’au jour où la maladie frappe à leur porte.

Karima est atteinte d’un cancer que la société ne nomme que par le qualificatif : lehlak amcum (funeste maladie). L’auteur raconte sa solitude avec impuissance. Il raconte le calvaire qui dure entre les traitements de la chimiothérapie à Alger et le retour à la maison.

Il dit, toutefois, l’hypocrisie d’une société qui refuse de mettre des mots sur des situations. Il raconte, sans tabous, la vie, sa vie…

Tahar Ould Amar