Authentiquement prophylactique, cette chanson devrait être remboursée par la sécu ! Maintes fois accablé, ce titre fut tel un baume apposé sur mes blessures. Son écoute procure un apaisement que la voix profonde et grave de l’artiste explique un tantinet mais pas que … il y a toute cette profusion de réminiscences qui deviennent rassurantes puisque …communes. Une basse profonde semblable aux battements entendus dans l’utérus rajoute de l’envoutement à une mélodie déjà très lénifiante.
Il se pose à chaque fois un problème de conjugaison : qui parle à qui ?
Ici, c’est, formellement, une espèce de «Sur-poète» qui, au-dessus des colères ennuyeuses de l’homme accablé de médisances, de rumeurs, de diffamations et de procès d’intention, tend la main pour un bond dans une psyché aux aptitudes thérapeutiques avérées.
Socrate disait qu’ « une vie sans introspection ne vaut pas la peine d’être vécue » parce qu’un auto-examen coûtera toujours plus que d’épier les écarts des autres, tout en nous gratifiant d’une élévation prométhéenne ! Sachant que l’Enfer est en nous, les peines que peut s’infliger un poète sont infinis à condition de traverser le Styx … de son vivant ! De survivre à ses blessures pour en gommer les cicatrices
Ce voyage Orphique commence par les blessures au gros orteil comme dans « La marche de la perdrix » de Baya Hachi. La neige, le froid, nos mères martyrisées aux champs et dans les ménages et qui courageusement continuaient à subvenir à nos caprices. La Montagne celle qui d’après Ovide aide à renverser les dieux enseigna au poète et à tous ceux de sa génération la meilleure façon d’avancer : tête haute, fier sans crainte et sans reproches !
Une deuxième halte s’impose aux sons des tambours qui valaient chacun un village. Tambours de Saint-Arnaud ou de Pélissier, de Randon ou de Bandier, ils tissèrent les jours et les nuits de motifs horribles, criminels, monstrueux et inoubliables. Frayeurs vécues qui laissèrent sur l’aède une fascination pour les armes s’avérant en 1985 fortes onéreuses car réglée avec ce que l’homme a de plus cher : sa liberté. La belle Timekhelt, celle qu’on maquille au Khôl comme une mariée… belle et mortelle, comme celle pour qui Le Maitre Alla quérir des larmes chez Charon dans « l’aboli bibelot » cher à Stéphane. Bien armé le poète !
L’autre Histoire, celle qu’on cache, celle que certains voudraient ne pas avoir vécue et qui est leur pourtant, Notre Histoire, écope de deux couplets pour montrer la mesure du désastre la monstruosité de la Dystopie !
Les rimes en EB sont à relever car à chaque fois qu’elles reviennent dans ce texte ou dans les autres titres ce sera pour marquer la même Dystopie. C’est le marqueur d’un cauchemar vécu. Comment transformer le rêve de générations de résistants (tajaddit), le rêve des « damnés de la terre » qui regardent poindre l’ « Aube » tant attendue et assister à l’extinction de l’Astre du jour par des aspirants prophètes !
L’autre Histoire celle des perdreaux, cireurs de chaussures qui firent de leurs boites des feux de joie. Perdreaux récurant chez Lounis qui en parlaient déjà dans les années d’or comparant leur pauvre nid d’orphelins avec la maisonnée du chasseur ayant pris la mère ! Chaque oisillon discourait sur la liberté sans sa mère ? Comme l’autre qui roucoulait de Stockholm sur la justice sans la mère. Que faire d’une indépendance sans notre océan de legs culturel, notre identité ?
À noter le banjo qui aide dans cette entreprise de transport vers la Casbah, Alger la blanche… et plein d’autres petits détails qui y contribuent.
En cinquième position vient l’Amour. L’auteur utilise le terme Ẓur qui renvoie au pèlerinage religieux, aux lieux saints. Au sortir de l’enfance, aux sources de l’émerveillement un poème venant du cœur allant aux cœurs, envahissant les âmes et même l’ombre du poète n’y échappe pas dans un clin d’œil au collègue Brel (l’ombre de ton ombre …) Brel qu’il évoquera encore une fois plus tard dans une autre composition. Et ce rang de cinquième qui symbolise en Kabylie la fratrie sied très bien à l’hommage rendu à sa compagne et à ses enfants avec la délicatesse et la pudeur coutumière que j’espère ne pas avoir heurté en la soulignant.
En dernier revient le début comme toujours … le début du chemin, il y a un demi-siècle. Au milieu des autres rêveurs, venus chanter leurs espoirs, il ne savait pas qui survivra aux modes, aux technologies, aux medias, aux médisances. Une seule certitude c’est que tous ce beau monde aura fait avancer le monde un peu vers l’aurore, vers l’ « Aube des damnés ».
Où est le code dans tous ça ? Me diraient certains amis. Eh bien déjà, voici une clé : le Septuor de Mallarmé.
Ce poème comporte sept parties : six « épisodes » mémorables et un refrain que l’on peut assimiler avec l’Acewiq introductif.
Cet album comporte sept titres comme beaucoup d’autre surtout parmi les derniers !
Cette façon d’écrire en insérant des enchâssements à la poupée russe évoque à ne pas douter l’encodage des poètes anciens qui voulaient inventer une nouvelle théologie après la fameuse Mort annoncée par Nietzche…
Mais ce n’est qu’une première clé… il y en aura d’autres tout au long de la suite de concoction composée de six autres sublimes chansons !
Djamel LACEB