Djamel Kaloun, l’une des valeurs sûres de la chanson kabyle, est l’un des artistes (et ils sont rares) à rester fidèle à une certaine idée de la chanson, une chanson qui interpelle les sens (lejwareḥ), une chanson aboutie, grâce au travail, à la recherche et surtout au respect du public. « Idir » est le dernier single de son album que nous n’écouterons qu’au compte-goutte. L’artiste a aimablement laissé ses chantiers pour répondre à nos questions. « Écoutons-le » :
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Il y a près de 20 ans, la voix et la mélodie de Djamel Kaloun ont capté l’attention.
D’aucuns y ont décelé un petit quelque chose d’« idirien ». Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai jamais essayé d’imiter Idir. Seulement, la nature a voulu que j’aie le même timbre de voix. Cela étant, j’ai aimé Idir depuis ma tendre enfance. D’ailleurs, la première chanson que j’ai apprise par cœur est « Cfiɣ am zun d iḍelli ». Au tout début, pas sur scène, avant que je ne compose mes propres chansons, je reprenais du Slimane Azem, du Ferhat… mais c’étaient les chansons d’Idir que j’interprétais le plus.
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Votre répertoire, tout en gardant une « âme djudjurienne », a intégré différents genres musicaux. Dans, à titre d’exemple, « Anef i yixef ad yicali », on y retrouve le « acewwiq » de Kabylie et le reggae de la Jamaïque. Comment appréciez-vous ces apports ?
J’aime écouter tous les genres musicaux. Et c’est par le biais de ces différents styles (flamenco, rock, reggae…) que l’on peut faire voyager et faire connaître notre culture, djurdjurienne, comme vous dites, au monde. Dans « Fusion », mon deuxième album paru en 2006, on retrouve différents styles sans pour autant perdre de son âme kabyle. C’est la preuve, s’il en faut, que nous pouvons cohabiter avec les autres dans le concert universel.
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Vous avez apporté votre pierre dans l’élaboration de la comédie musicale Si Moh Oumhand. Parlez-nous de cette expérience.
Il ne s’agissait pas de ma première expérience dans le théâtre. J’avais fait beaucoup de musiques théâtrales. J’avais même été primé par des prix nationaux, dont le premier prix à Batna. Mais en comédie musicale, Si Mohand Oumhand a été ma première expérience. Cela n’a pas été facile. L’importance et la lourdeur du personnage avaient sollicité beaucoup de concentration et d’effort. Mais comme on dit « yeffeɣ laɛtab ɣer tafat ». La pièce a connu un grand succès. C’était ma satisfaction. Dans « Si Moh Oumhand », on retrouve aussi différents genres musicaux (le acewwiq, le chaabi, le rock…), cela permet au public de ne pas se lasser de la monotonie tout en baignant dans l’âme kabyle. Cette comédie musicale a été une grande expérience pour moi.
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Lwennas s’interrogeait « ccna n teqbaylit wis s anda akka i imal (où va la chanson kabyle) ? ». Alors où se situe-t-elle et où va-t-elle ?
Avant, la chanson kabyle avait ses repères et sa trajectoire. « L’engagement » dans la chanson relevait de l’amour, du travail et, surtout, du militantisme. Présentement, nous ne constatons pas le même engouement pour l’art de la chanson. Aujourd’hui, on est hélas dans l’indigence thématique et la folklorisation. La chanson commerciale et le folklore sont la tendance. Le chanteur est à l’écoute du public qu’il caresse dans le sens du poil. Moi, je suis têtu, « qqimeɣ am widak n zik (je suis comme les anciens) ».
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« Idir », votre dernier single, est un hommage à Idir, un artiste intemporel qui avait hissé haut la chanson. Que représente-t-il pour vous ?
Je pense avoir tout dit et tout explicité dans la chanson. J’ai souligné que Idir était « tala i seg d-nugem (source d’inspiration) ». C’était notre ambassadeur, il a fait voyager notre chanson à travers le monde et, ce faisant, il avait donné de la visibilité à notre culture.
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Des projets ?
Je viens de finir un album qui paraîtra, comme le veut le marché de la chanson, en singles. Le premier, l’hommage à Idir, est paru, les autres suivront, tous les deux ou trois mois, c’est l’éditeur qui décide. Je viens de terminer l’accompagnement musical de la pièce théâtrale « Fadma n Soumer ». Je compose aussi pour d’autres chanteurs. En fait, je n’arrête pas d’écrire.
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Un dernier mot ?
Je remercie Tangalt. Et je termine par le souhait que la chanson kabyle retrouve son niveau d’antan et que le public se réconcilie avec la chanson à thème, la vraie chanson, celle qui interpelle l’émotion.