Le roman « Tasga n ṭṭlam » de Said Iamrache (2000), dont le titre peut se traduire par « Coin de la pénombre », était une œuvre inscrite dans une lancée d’écriture frêle et qui, jusqu’aux années 2000, se cherchait encore; car les premiers romans pensés et transcrits en langue kabyle en ce temps-là, publiés ou scellés dans des tiroirs, ne dépassait guère la dizaine.
Mais sur ce chemin « initiatique », cette littérature romanesque bénéficie toujours d’une riche prose orale déjà plurimillénaire et une tradition lyrique dans sa majeure partie. Ce sont ces deux genres qui avaient offert aux premiers pionniers du roman dès les années 80 s des outils rhétoriques, culturelles et thématiques pour investir la prose. À l’image de toute littérature, surtout acquise à l’école, et à l’ouverture au monde, les buts recherchés de nos premiers écrivains, sauf de rares tentatives en fiction, consistaient à marquer leurs événements vécus et fixer leurs aspirations du moment.
Le roman « Tasga n ṭṭlam » n’en a pas dérogé, d’ailleurs. Il a rapporté les événements et les rêves d’une frange de la jeunesse de la post-indépendance. L’auteur y a fixé un quotidien situé en Kabylie d’entre la fin des années 60s et le début des années 90s, et gréé des choix socio-politiques nouveaux, voire brusques envers la tradition. Cependant, ce roman est la dernière réalisation artistique, après son passage au théâtre, une poésie riche et diverse, et nombre de sculptures thématiques sur bois. L’auteur était un vrai touche-à-tout, en plus d’être militant des causes justes, comme la démocratie, la liberté, la justice et la culture. À mon sens, ce curriculum lui a permis d’observer, disséquer et diagnostiquer une société en mal dans son avenir.
En préfacier, Rezki I. a témoigné sa surprise de la richesse du texte qu’il a encouragé et accompagné. « Said s’enferma et se remit à la tâche. Lorsqu’il l’eut terminée, son œuvre n’était plus une nouvelle mais un roman. Quel roman! », avait-il écrit. Quant à Abdennour A. en quatrième page de couverture, il a mentionné que l’auteur du roman « a rapporté sous forme de vers des événements, afin que la mémoire puisse rappeler la mémoire à certains oublieux. » Puis il conclue : « Mais y a-t-il vraiment un mal éternel ? Non, semble nous rassurer le poète Said avec des mots puissants, pleins d’espoir… ».
Dans un style facile à lire et très imagé, les chapitres ont fait rappeler à la prose des pièces de poésie déjà produites auparavant et la culture populaire comme les mythes, les proverbes et certains faits historiques connus. L’auteur commence par la naissance du personnage de Mohand-Akli dans la période de grande disette qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Mais dont il a écourté l’enfance pour lui octroyer une jeunesse responsable, peut-être sciemment. L’auteur voyait en Mohand-Akli une lumière du village, une exception pour sa génération. Simple, éveillé et clairvoyant, seul à être sûr de ce qu’il cherchait et à s’obstiner à ramer à contre-courant dans une société régie par des contradictions.
Le lecteur se rendra rapidement compte que les chapitres sont agrémentés de va-et-vient en étoile entre Mohand-Akli et les autres personnages âgés, les hommes de son entourage. Lesquels va-et-vient sont assaisonnés par de petites révoltes et des questionnements répétés. La junte masculine dans ce roman, si elle symbolise la dureté, la supériorité et l’entêtement, toutefois, la femme s’est exprimée par une présence protectrice de Salima, sa mère, et une présence symbolique de Tamɣart n temɣarin, la conseillère ancestrale. Ces deux dames se sont fait donner la grande part dans les dialogues.
Dans les sept premiers chapitres du roman, l’auteur nous a aplani les contextes et a placé les belligérants. Certaines scènes rappellent les souvenirs de nos parents, les contemporains de l’auteur. L’auteur n’y a pas omis de projeter son propre réalisme dans une société qui se cherche et ses aspirations. Par contre, je laisserai le lecteur et la lectrice découvrir la suite des péripéties de Mohand-Akli.
En plus de la facilité à lire, la précision et clarté dans les idées, nous avons relevé quelques-unes des figures de style, dont la répétition comme l’anaphore (« ulac », pages 55-56; « fakk », page 60) et la polyptote (« tettuḍ-teṭṭseḍ-tettekleḍ-tenwiḍ », page 56). La métaphore (« taddart yejguglen ger yigenni d tmurt », page 62; « nekk ayla-w di tteṛɣegga », page 107). Et aussi l’intertextualité qui, comme nous l’avons indiqué plus haut, a nourri le texte de l’auteur par quelques proverbes et citations d’auteurs contemporains pour appuyer l’évidence de ses propos. Le lecteur remarquera aussi que certains extraits de cette prose ont la valeur de poésie libre, compte tenu de l’assonance des mots et de la construction des énoncés.
Enfin, en guise d’épitaphe, la pierre tombale de l’auteur montre cette citation traduire « La liberté dévoile la vérité, la vérité remue les méninges inquiètes et essuie les larmes des malheureux. La vérité est comme la lumière. »
« Tasga n ṭṭlam » de Said Iamrache (2000).
À lire aussi du même auteur « Timenna » (Editions HCA, 2007), une œuvre composée de 25 poèmes et des 19 sculptures sur bois, et quelques articles divers.
En guise de témoignage, voici un extrait de mon roman inédit sur l’auteur et l’œuvre :
Ssaɛid yeksa taẓuri : d asreqqat n wesɣar, d amedyaz, d amussnaw n uẓawan, yecna, yurar ula di tceqqufin n Maḥyeddin Bacṭarzi deg yiseggasen n sebɛin di Lezzayer. D ameɣnas ger yimenza n temnaḍt–nsen ɣef tmeslayt d yizerfan n wemdan. Medden akk sawalen–as dda Ssaɛid, ula d wid meqqren, tizyiwin n baba–s. Ay–agi akk d azal ttaken medden i « teqbaylit » d tmussni. Yessen–it Bellic asmi ttekkin di temzikent n 20 yebrir di tesdawit. Syin ksan–d abrid s terbaɛt n yinelmaden. Asmi yeqqar di tesdawit d wasmi ixeddem, yezga Bellic yettṛuḥu ɣer At Jennad, d aɣan 1 ilmend n wergaz–agi d tmussni–s. Taddart akk tessen Bellic, yessen akk adrum d yemdukal n Ssaɛid, iberdan d yizerban n taddart. Werǧin iḥulfa i yiman–is d abeṛṛani. Taddart akk tettlaɛi–t, tseqsay–it, teggar–as tamawt mi ara yas ɣur–sen. Wid yessnen Ssaɛid, Ssaɛid yeḍmen deg–sen, d arraw n taddart ula d nitni, tettissin–iten taddart. Di teqbaylit yella, ur yettwat ara di taddart win i wumi fkan leɛnaya wat taddart… Leɛnaya d tuɣrist.
Ssaɛid iṛebba ul ɣer tɣuri, am tira. D acu kan ur yeɣri ara, yettaru am wacemma, akk–en yessen kan. Imi taqerrut teččuṛ, allaɣ yetwel, yufa lmendad di Bellic d Ureẓqi n Tbuduct, xali–s n Ssaɛid ; d nitni i t–ideggren ad yaru akk–en yessen, yernu ṛeggmen–as ad bedden ɣer–s, ad at–allen. Areẓqi yettaru yakan s tefṛensist. Yessufuɣ–d yakan imagraden deg yeɣmisen, am « Tidyanin n Didin ». D i–sin ad snetqaden ay–en yura Ssaɛid s ufus. Dɣa yal tikelt ideg ara iṛuḥ Bellic ɣer Ssaɛid, ad ɛiwzen deg wexxam n Ureẓqi s awal d usqerdec n way–en d–yessufeɣ s uselkim.
Ger twadda d wuɣal, ungal n Umennuɣ n Muḥend–Akli di tmetti–s yettnerni. Si tekti ɣer tayeḍ, awal yuzzel, imru yedda di lebɣi, Ssaɛid imessel taluft d usirem. Yal ass d agmar almi i t–fukken. Syinna yegr–d yiwen i wumi ara nsemmi Afus–n–Tafat, i yuzzlen akken ad d–yeffeɣ d adlis. D tanagit n tallit seg umezruy–nsen. Akk–agi dduklen, ssaɣen tafat i talsa… S wesḥissef i d–yeffeɣ ad ɣren medden ɣef Ssaɛid–agi, imi Ssaɛid s timmad–is ur yeḥdiṛ ara mi d–yeffeɣ wungal.
Akk–agi, teqqim–as i Bellic d tannumi, mi yerza ɣer tmurt, ad iwet asurif ad iẓer arraw d watmaten n Ssaɛid. Ad yaweḍ daɣ s aẓekka–s, yal tikelt yettales–as taɣuri i wawal–nni ɣef tmedlin : « Tilelli tessekfal–d tidett, tidett tkemmez i wallaɣen iḥaren, tesfaḍ imeṭṭawen ɣef wallen n widan ittrun. Tidett am tafat ». 2
[1] Aɣan : ay–en ilaqen ad at–yeg wemdan.
2 Ssaɛid Iɛemṛac, ungal « Tasga n ṭṭlam » (2000).