Publié en 2015, le roman Nayla de Brahim Tazaghart fait suite à deux autres romans, d’abord Salas d Nuja et ensuite Inig aneggaru. Nayla, prénom de l’un des principaux personnages, et néanmoins un signe important dans signification du texte. Du point de vue thématique, il  est un tissage des unions impossibles. Des unions non souhaitées, combattues par les traditions faisant fi des temps qui passent et par l’Histoire oubliée ou manipulée. Le roman de Nayla est un texte où la mémoire est triturée, qui ne se réalise pas, qui empêche toute projection dans l’avenir. La cohabitation dans la différence et dans le respect est tributaire de cette mémoire sombre. 

Tout le texte de Nayla, je le vois comme une dénonciation de ces tentatives répétées, et à plusieurs reprises planifiées, d’orienter la mémoire vers des lieux faussement idéologisés limitant ainsi sa portée historique et sa capacité d’engager l’avenir. Les récits des unions rendues impossibles par cet être sociologique qui, non seulement limite le regard de l’individu, joue le rôle de la rouille dans la dynamique du renouvellement et du dépassement de soi.

La désunion est rendue possible par la manipulation de la mémoire. L’absence de mémoire positive, valorisante de soi, tolérante de l’autre, généreuse et porteuse d’espoir devient un obstacle sérieux et épineux. On refuse à Mahdi d’épouser Nayla parce qu’elle est arabe (d taɛrabt), lui est kabyle (d aqbayli). On refuse à Dda Remḍane d’épouser Ṭawes parce qu’elle est de descendance maraboutique (d tamṛabeḍt), lui est kabyle (d aqbayli). Tamila quitte Lataman, son mari âgé, parce qu’elle veut se libérer de la muselière qui lui impose la mentalité du village (p.43). L’absence d’une mémoire positive brise les unions. Cette absence est même plus forte que les amours.

La thématique de la désunion structure le texte de Brahim Tazaghart. Elle donne l’occasion aux questionnements de prendre place dans la trame narrative : des questionnements sur la différence, des questionnements sur la construction de la mémoire, des questionnements sur l’oubli et la méconnaissance de l’histoire, des questionnements sur l’absence de l’écriture. Tout le texte de Nayla est un plaidoyer pour réconcilier l’individu et la société avec son histoire et sa mémoire profonde.

Les récits de couples (Mahdi / Nayla, Dda Remḍan / Ṭawes, Dda Latamen / Tamila) et la thématique de la désunion constituent le cadre propice pour passer au tamis l’incapacité de la société à produire de la tolérance, de la valorisation de soi et du respect de l’autre. La raison de ce blocage séculaire semble être, selon Brahim Tazaghart, dans l’absence de mémoire dans la société.

Au plan proprement littéraire, le texte Nayla est une véritable prouesse. C’est un tableau, en collage, fait d’un récit cadre (récit de Mahdi et Nayla) et d’autres récits encadrés. La technique du collage prend toute son importance dans des insertions inattendus comme celle, entre autres, de Lkaɣeḍ n urgaz afuyan (le papier de l’homme gros) écrite en langue française, dans le second chapitre et de la lettre écrite en langue arabe envoyée par un groupe de soldats berbères au Kalif Hicham Ben Abdelmalek pour se plaindre des agissements de leurs supérieurs (arabes) au nom de la religion (chapitre sept). Cette écriture discontinue, faite de collage d’éléments épars, est intéressante. Cette technique narrative, stylistiquement novatrice, est déjà présente dans Inig aneggaru, son second roman ; elle est également exploitée par Amar Mezdad dans ses textes. C’est une originalité importante qui attribue à aux textes de ces deux auteurs une valeur littéraire et historique.

Le texte en entier est composé de 07 moments importants. Chaque moment est divisé en petits chapitres. Chaque chapitre est composé de petits paragraphes. L’ensemble de cette construction suggère une écriture plutôt poétique. Je ne pense pas qu’il serait exagéré si je dis que ce texte possède une âme de poème. L’auteur lui-même est poète. Il n’est pas inutile de rappeler ici ses recueils poétiques : Akkin i tira, Amulli ameggaz et Takemmict n wakal.
Le passage d’un récit à un autre, d’un extrait à un autre, d’un fragment à un autre se fait d’une manière souple et agréable alternant passé et présent, questionnement sur la mémoire et le présent et incursions dans l’Histoire.

Je ne pense pas que les récits encadrés jouent uniquement le rôle de retardement narratif ; ils ne sont pas de simples digressions. Au contraire ils constituent des moments qui appuient fortement le motif de la désunion qui lui-même alimente la thématique de la mémoire. Se contenter de ce rôle dilatoire de l’intrigue, c’est nier arbitrairement, sans le vouloir, cette écriture de nature picturale, dont le collage est le plus apparent.

Une autre qualité du texte Nayla est dans ce dialogue agréable entre l’auteur-narrateur et le récepteur-narrataire. Il y a dans ce texte de Nayla une sorte d’obsession de l’écriture. Cette dernière est omniprésente dans ce texte. Une bonne partie de la narration est présentée sous forme de lecture. L’échange de message entre le critique et le créateur (chapitre 04 et chapitre 06)  à propos de l’écriture de ce roman en est un cas exemplaire.

Par ailleurs, le discours de Mahdi, l’un des deux personnages principaux, à destination du lecteur est à prendre à la fois comme une invitation à trouver une fin à l’histoire de Nayla et Mahdi et comme une interpellation de la conscience à propos justement de la mémoire et de l’avenir.

Au niveau de l’expression, le texte se présente comme une longue stance pleine de poéticité où les paragraphes s’apparentent aux vers et aux versets. Les figures métaphoriques s’y insèrent allégrement pour signifier la douleur et les incompréhensions des personnages ou l’absurdité des situations.