Dans le sillage de la promotion de son premier roman Tighilt n umadagh (Tiɣilt n umadaɣ, en transcription amazighe), Zedek Mouloud était à Montréal samedi dernier, sur invitation de la FAAN (Fédération des Amazighs de l’Amérique du Nord). L’événement a connu un tel succès que l’une des salles du Cégep Ahuntsic où a eu lieu la rencontre semblait très exiguë, étant donné l’assistance assez nombreuse. Pas moins de 400 personnes étaient présentes à ce rendez-vous exceptionnel qui rassemblait, cette fois-ci, la communauté autour d’un livre. Un fait inédit qui se focalise sur la célébration de la sortie d’un roman avec sa dédicace. Cette dernière, hélas, n’a pas eu lieu en raison du manque de disponibilité de l’ouvrage en question.

Les présents ont chaleureusement accueilli Zedek Mouloud venu parler de son nouveau-né, cette fois-ci non pas d’un album de chansons comme il en avait l’habitude de promouvoir, mais d’un livre, d’un écrit, d’un autre monde que Zedek veut explorer et encourager. « Ce moment est unique pour moi. D’habitude, vous répondez à l’appel de mes spectacles, mais maintenant vous avez répondu pour l’écriture », lance-t-il avec émotion à l’assistance. « C’est avec l’écrit que nous pourrons donner élan et force à notre langue, … Taqbaylit (au sens large) est un héritage que nous devrons transmettre à la postérité par la plume. C’est un devoir. »

Zedek Mouloud, artiste populaire reconnu pour son œuvre axée sur sa force poétique souvent accompagnée de belles harmonies musicales issues du terroir chaâbi et folklorique kabyle, s’oriente désormais vers un genre que lui-même décrit comme « une inconnue difficile à surmonter au départ» ; durant cette rencontre littéraire, les modérateurs ont soulevé ce volet pour le compositeur-écrivain, sur le pourquoi d’avoir fait ce nouveau saut vers le romanesque. Autrement dit, est-ce que la poésie a ses limites pour exprimer autrement le monde ? Zedek, dira en substance que « certes je suis poète, j’exprime des situations comme je les connais en vers, c’est ma passion, ce qui relève de la littérature, mais le genre romanesque c’est autre chose… Mais c’était une idée qui avait longtemps germé dans ma tête avant de mûrir jusqu’à sa publication, raison de notre rencontre d’aujourd’hui. Mais le chemin reste long à explorer », résume-t-il tout modestement.

Le modérateur Nnasser Uquemmum, imprégné de finesse littéraire, interpelle notre poète-écrivain, l’un de nos « ciseleurs de mots », sur la distanciation intime entre la prose et le poème. Zedek, lui répondra : « En tant que poète, le vers est une passerelle vers le roman. Le poème est court, quand le roman déborde sur des univers difficiles à contenir et demande un imaginaire débordant pour mieux exprimer un tout homogène. La prose est une rêverie, et moi j’étais toujours un grand rêveur. »

Tighilt n umadagh raconte un monde imaginaire incarné de vérité et de réalité vécues par son auteur. Le titre lui-même est inspiré d’un lieu existant, à la limite de son village, où Mouloud a connu durant son enfance. Toutefois, sans verser dans le résumé du récit que les lectrices/lecteurs découvriront d’eux-mêmes, notre auteur, durant ses interventions, a expliqué certains passages de son roman pour exprimer davantage le village comme un monde où diverses existences se croisent et se confrontent. Cela dit, ce petit roman de moins de 140 pages survole des époques et périodes qu’a vécu la Kabylie depuis les années 40 à nos jours, avec une touche descriptive d’ « influence feraounienne », souligne avec chuchotement de l’un des présents.

Cette rencontre inédite marquera l’accueil du roman comme une ouverture sur d’autres expressions afin de préserver notre langue de son extinction, une vitrine de notre jeune littérature pour/sur le monde. Néanmoins, cette affluence est-elle venue pour Zedek Mouloud l’artiste ou l’écrivain, la chanson ou le roman ? Le mérite revient à Zedek d’avoir su donner une place de prestige au roman, un passage inauguré vers de nouveaux horizons même en terre d’exil.

Tighilt n umadagh, en sus de faire voyager les amateurs de la littérature amazighe d’expression kabyle vers un monde imaginaire imprégné des imbrications de l’histoire de notre société, et aussi une belle conception réalisée par l’agence graphique Asafu, un autre point fort que nos éditeurs doivent mettre en valeur.