L’auteur de Où elle est, ma patrie ? nous guide à travers les interrogations d’une adolescente de 13 printemps et les réponses de son père. C’est un récit ponctué de 1001 questions naïves, à la manière d’un échange entre une élève et son professeur. Le défi classique est de savoir qui connaît le mieux et qui peut argumenter de manière plus convaincante. Il s’agit d’un échange entre Mohand, enseignant nouvellement installé en famille au Québec, et sa fille. Dès les premières pages, le lecteur perçoit le décalage temporel, sociétal et générationnel entre eux.

Les échanges sont clairs, conçus pour convaincre l’un l’autre et impliquer leur lecteur, même en son absence. Il n’est jamais facile d’argumenter avec une adolescente, car souvent ce qui semble évident pour l’un ne correspond pas à la réalité de l’autre. Comme indiqué dans la quatrième de couverture, « des questions d’une brûlante actualité sont abordées dans des dialogues croustillants. »

Dans ce récit, Mohand évoque les années de la fin du siècle, marquées par des événements bouleversants, en particulier dans la capitale et ses environs. L’onde de choc n’a pas épargné la vie universitaire, connue comme un terrain d’apprentissage des luttes diverses et d’ouverture vers des horizons supranationaux. À travers tous les chapitres, il continue à puiser des arguments et des exemples dans son propre vécu.

D’un autre côté, le lecteur parcourra les chapitres avec la pédagogie d’un professeur et la précision d’un philosophe. Chaque étape constitue un diagnostic d’un fait de société, avec d’un côté le narrateur qui relate l’expérience et la connaissance de Mohand, et de l’autre un raisonnement inspiré de l’école québécoise et nourri de rêves juvéniles encore frais. Le lecteur prend plaisir à observer les deux personnages, à suivre leurs arguments et à susciter en lui-même consentement ou désapprobation. Il peut même, sans y être invité, mettre en pause sa lecture pour réfléchir sur la source d’un tel argument, sur la portée d’une telle citation, tant les propos sont clairs.

On comprend rapidement que le professeur cite fidèlement et délibérément des philosophes et penseurs qui ont marqué leur époque, tels que Nietzsche, Socrate, Platon, Rousseau, Husserl, Locke, etc. Cependant, il semble par moments oublier le contexte de classe et donne l’impression de surplomber son élève.

Tout au long de ce récit romancé, les propos de Mohand oscillent de manière perceptible entre ses références cumulées avant son grand voyage et sa nouvelle réalité socio-politique. Il rappelle sans cesse à sa fille son attachement à son passé, non par nostalgie, tout en démontrant accepter peu ou prou son présent. Les sujets abordés naviguent dans l’espace de la « patrie » et de ses composantes, incluant l’amour de la patrie, la politique, l’égalité homme-femme, la laïcité, la religion, le Parlement, l’élection, les médias, la langue, la liberté de conscience, etc.

À un moment avancé du récit, quand les deux ont fait le tour des autres questions, ils reviennent au sujet « patrie ». Voilà de quoi ils se sont entretenus :

–  Revenons à notre sujet, rappelle Mohand.
Tu me parles de ta patrie depuis quelques jours, mais le problème, c’est la mienne.
– Pardon, ma fille, c’est la nostalgie qui me fait parler de moi.
– Suis-je obligée d’avoir la même patrie que toi ?
Pas nécessairement, absolument pas.
– Explique, papa !

Mohand tente une explication.

– Je t’avais déjà dit que la patrie est une question de sentiments.
Donc, la patrie est celle que j’aime.
Celle envers laquelle tu as des sentiments. Des sentiments forts que tu ne peux pas faire semblant d’ignorer. Lorsque ta patrie est frappée par un malheur, tu ressens de la tristesse, et lorsqu’elle est joyeuse, tu le ressens aussi et tu te sens heureuse.
– Mais papa, je n’ai pas beaucoup d’informations sur l’Algérie, mon pays natal. Je ne sais pas quand elle est triste ou heureuse.
– C’est tout à fait normal, car tu habites loin de ce que tu considères comme ta patrie. Ce que vivent quotidiennement les Algériens qui y habitent, tu ne le vis pas. …

Aux lecteurs et lectrices découvrir les dits et les non-dits de ce récit.