La littérature amazighe ne cesse de se développer. Un observateur sérieux ne peut pas ne pas voir toutes les transformations de différente nature opérées notamment ces dernières décennies. La reconfiguration même des (sous) champs littéraires respectivement du kabyle, du chleuh et/ou du rifain en porte grandement les marques et les conséquences. Les facteurs de ces transformations sont multiples et de dimensions différentes. Les plus importants sont, au plan sociologique, indéniablement le militantisme des agents (notamment les auteurs et les éditeurs), la scolarisation (informelle et institutionnalisée) et la création des espaces d’échange culturel, principalement en Kabylie, comme les salons de livres, les cafés et les rencontres littéraires, entre autres. Le processus novateur est bien engagé, même si les accompagnements de nature institutionnelle semblent minimes ou pas à la hauteur des souhaits. Présentement, la littérature qui s’écrit en kabyle, en chleuh et en rifain est à un point tellement important qu’il est exigé de la communauté qui la pratique, qui la porte et qui la consomme de bien définir son avenir. 

Comment concevoir cet avenir ?

Outre la conscience militante qu’il faut toujours maintenir, voire même à réinventer et/ou à développer, les conquêtes institutionnelles qu’il faut encore consolider et le renforcement des pratiques de création (notamment des genres dits nouveaux comme la nouvelle, le roman et le théâtre) et de réception (lecture, critique, recherche universitaire), il me parait très important, je dirai même capitale, de voir dans la catégorie des écrivains des pratiques à observer, à discuter, à critiquer et, au besoin, à canaliser et renforcer.

Trois points me semblent importants à prendre en considération pour discuter de l’avenir de cette littérature. Tout en étant focalisés sur la matière littéraire, ces points sont tout de même en relation directe et mutuelle avec la structuration du (sous) champ littéraire et l’histoire de la littérature.

Le premier point est de ne pas rompre avec la littérature écrite en d’autres langues. La raison est à la fois simple et pragmatique, pour ne pas dire stratégique. Le multilinguisme est aussi bien une caractéristique qu’une détermination sociolinguistique du champ littéraire qu’il soit pris dans sa globalité nationale ou supranationale ou dans sa fragmentation géolinguistique. Par ailleurs, la construction du capital littéraire nécessaire à toute nouvelle réalisation littéraire est une condition sine qua non pour la richesse de l’œuvre à réaliser. Cette construction ne peut se faire d’une manière optimale et conséquente que par une ouverture sur les langues et les littératures de l’espace national et/ou nord africain et mondial. Dans ce cadre, lire en arabe et/ou en français (et bien en d’autres langues) et écrire en kabyle, en chleuh et/ou en rifain serait l’une voie assurant l’avenir de la littérature en ces langues.

Le second point est de ne pas se complaire dans la sublimation identitaire de la tradition orale. Rester dans les rappels bibliographiques que « les Berbères avaient/ont tellement de contes à raconter qu’ils peuvent en remplir des tomes et des tomes » ou que « la tradition orale berbère est millénaire et riche » c’est indéniablement se contenter d’un enthousiasme identitaire improductif et pratiquement bloquant. Car la bibliothèque berbère n’a retenu de cette richesse d’une partie très infime et que de plus en plus les Berbères ne se racontent plus les contes. La réalité présente exige plutôt de considérer la tradition orale à la fois comme une mémoire littéraire et comme un patrimoine à interroger.

Le troisième et dernier point est plus complexe car plus intime de la littérarité. Cette dernière ne doit pas être figée sous prétexte de confort socioculturel. Elle ne doit pas non plus être mimée et calquée sur des modèles dont certains sont, d’une manière inconsciente, imposés par les institutions scolaire et universitaire. La poétique des textes et des genres littéraires doit être bien au contraire élaborée dans un cadre culturel authentique mais suffisamment novateur. La littérature (kabyle, chleuhe, rifaine) est à prendre comme une chose dynamique où oser de nouvelles possibilités littéraires, stylistiques et signifiantes est un (en)jeu substantiel à sa (sur)vie.

 

Mohand Akli Salhi