Arezki Larbi est parti peut-être au moment où il considérait qu’il a accompli un de ses rêves les plus chers : réaliser son propre film. « Je ne pourrais pas finir ma carrière sans faire un film », avouait-il au mois de septembre 2023, à la cinémathèque de Bejaïa, devant un public attentif, qui venait d’assister à l’avant-première de son film, Le Chant de la sirène, lors des dernières Rencontres cinématographiques de Bejaïa (RCB). 

Ce rêve qu’il venait de réaliser tombait malheureusement au très mauvais moment : beaucoup de personnes ont appris qu’Arezki Larbi était gravement malade, il était atteint d’une tumeur qui l’empêchait de se tenir sur ses pieds lorsqu’il assurait le débat après la projection de son film. Assis sur une chaise face au public, l’artiste exprimait d’une voix faible ses motivations artistiques, et gardait intacte son acuité intellectuelle malgré la maladie qui le dévorait douloureusement.

Le Chant de la sirène est un film à voir plusieurs fois. Il dégage une forte émotion de par l’onirisme fascinant de ses personnages et de l’univers dans lequel ils sont noyés : un pêcheur taciturne et sa cabane ornée de tableaux de peinture, une plage déserte, majestueuse et silencieuse, ascension d’une grosse lune aux couleurs mystérieuses, apparitions nocturnes d’une sirène qui interroge laconiquement le pêcheur sur l’amour et les mystères de la vie…

Le film est le produit d’un l’esprit puissamment imaginatif de l’artiste peintre dont l’influence de son art originel doublée de son expérience dans le cinéma, comme scénographe surtout, est très perceptible, conférant à son œuvre une empreinte artistique très personnelle. S’il pouvait prolonger sa vie, il aurait sans doute réalisé d’autres films d’une forte teneur esthétique. Arezki Larbi est un esthète de l’art.

Son esthétisme artistique est très profondément ancré en lui. En 1996, dans la même cinémathèque, c’était lui aussi qui a assuré le débat ayant suivi la projection du film Machaho, de Belkacem Hadjadj, en l’absence de ce dernier. Le public kabyle était fier et émerveillé de voir des films kabyles, professionnellement réussis. Mais, la culture cinéphilique faisait défaut. Project’heurts n’existait pas encore. 

Pendant le débat, de nombreuses interventions ont violemment critiqué les habits que les personnages féminins ont portés dans ce film. « Ces habits ne sont pas conformes à ceux que portaient les femmes dans la vie rurale en Kabylie, vous avez déformé la réalité », vociférèrent plusieurs intervenants. Lorsque ce « procès » d’ordre socio-culturel persistait interminablement pendant le débat, Arezki Larbi perdit son sans froid et s’est mis à expliquer à la salle la quintessence de l’art. « Vous considérez que les habits des personnages féminins ne son pas réels, mais apprenez bien que le cinéma est un art, et l’art n’est pas la reproduction de la réalité. Pour donnez une touche esthétique aux habits féminins, j’ai voulu les embellir en les agrémentant d’apports supplémentaires que j’ai moi-même conçus pour les besoins du film. »

L’explication recueillie la désapprobation de la salle. Et celle-ci était vraiment pleine (plus de 300 personnes). « Non, vous n’avez pas le droit de déformer la réalité ! », lui a-t-on crié encore. Comment convaincre du bienfondé du choix de l’artiste une salle résolue dans son entêtement ? Arezki sut trouver la formule idoine. « La célèbre tenue du cow-boy des films western a-t-elle existé dans la réalité ou non ? », questionna-t-il la salle qui resta bouche bée. L’interrogation était aussi surprenante qu’inattendue. « Savez-vous que cette belle tenue n’a jamais existé dans la vie réelle des cow-boys américains ? Savez-vous qu’elle était une pure création artistique ? » La salle écouta avec ébahissement ce qui ressemblait à un cours sur la liberté de l’artiste quand il s’agit de créer une œuvre artistique au sein de laquelle l’imagination occupe une place centrale.

Nous pouvons dire un millions de belles choses sur Arezki Larbi. Peut-être faudra penser à publier tout un ouvrage sur son œuvre et activités artistiques.
Il y a cependant des choses très regrettables : pourquoi les artistes indépendants n’ont pas pensé ou osé créer des organisations défendant leurs arts, leurs carrières, leurs espaces, leurs intérêts matériels, financiers, et leurs chères libertés surtout ?
Reconnaissance envers Rafik Zaidi, Mustapha Rais, peut-être d’autres aussi, qui ont veillé affectueusement sur Arezki Larbi pendant sa maladie. Par leur geste, il lui ont rendu toute l’affection qu’il a répandue autour de lui durant un demi siècle ou plus.

Kader Sadji