Dans la première partie de cette réflexion, j’ai tenté de mettre en exergue les conditions qui assureraient un bon avenir pour la littérature kabyle, plus généralement amazighe. Parmi ces conditions, j’y ai notamment abordé celles qui concernent les auteurs dans leurs activités d’écriture et de création. Celles de nature socio-institutionnelle sont évidemment importantes ; l’objectif était (est) d’attirer l’attention des auteurs, surtout les plus jeunes, aux aspects créatifs en relation directe avec la littérarité et l’esthétique des textes. En appelant à oser de nouvelles possibilités littéraires, stylistiques et signifiantes, j’ai en tête notamment la conviction que l’avenir de cette littérature en dépend.

La libération du personnage fait partie de cette dynamique créatrice à engager. Ma conviction est telle que cette aspiration ne relève pas seulement de l’effort novateur de l’expression littéraire, essentiellement romanesque, mais surtout un agissement stratégiquement protecteur de l’espace qu’occupera la littérature amazighe, notamment l’écriture romanesque, dans l’arène littéraire nationale et/ou internationale. En effet, quelques nouvelles et romans écrits en kabyle présentent des personnages tout faits, leur existence est « dévoilée » comme une fatalité, leur « épaisseur » se limite aux actions qu’ils mènent, parfois sans « conviction » affichée et assumée. En somme, tout en rappelant, malgré eux, ceux du conte traditionnels, ces personnages sont donnés comme déterminés par et dans l’extra narratif, le culturellement connu et le traditionnellement institué.

La libération du personnage est une opération à la fois, stylistique, esthétique et signifiante. Elle installe les textes, où le personnage est construit comme une trajectoire, un accomplissement et une vie qui se déroule, dans une sorte « amplitude » romanesque, voire même poétique et esthétique.

Libérer le personnage de quoi ? Le libérer comment ?

Tout d’abord, le libérer de sa typicité. Un personnage est une catégorie à construire. Il faut bien bâtir son individualité ; sa singularité mérite intérêt et attention de la part de la plume qui lui donne existence. Le libérer également de la convenance sociale. Le personnage doit élaborer sa propre morale ; sa vie en dépend ; sa trajectoire en est une sorte d’étalage, son héroïsme ou son anti-héroïsme y trouve consistance et justification. La narration se chargera de tout cela.

Si le personnage est libéré de ses déterminations traditionnelles, la narration le sera également. Elle sera intense, plus dense et colorée car la voix narratrice tentera en conséquence de composer cette libération. Avec cette dernière, la narration se libérera elle aussi de la platitude et la stéréotypie et mènera le texte au-delà du simple récit en lui assurant romanesque et particularité.

Evidemment, ce qui est écrit ici n’est qu’un avis. Une conviction aussi.

Mohand Akli Salhi