L’histoire de la littérature kabyle ne sera établie d’une manière adéquate que si ses moments marquants sont connus et reconnus comme tels. Les textes, les genres et les styles ayant imposé de nouvelles pratiques et orientations de création et de réception doivent être repérés, étudiés et valorisés dans la perspective de les situer dans le temps et évaluer leurs impacts. De même les auteurs, les groupes et les institutions, de différentes nature doivent être en valeur en qualité d’agents ayant favorisé, conduit et concrétisé les changements littéraires et, par leurs actions multiples, ont agi sur le cours de cette littérature. La périodisation et la visibilité littéraires en dépendent de cette précaution.

Parmi les groupes qui ont énormément contribué, dans la période contemporaine, à ce mouvement d’inscription historique de la littérature kabyle, trois méritent d’être cités. Le premier groupes est composé par les Pères Blancs (1945 à 1976). Son organe de publication, le Ficher de Documentation Berbère, devenu Fichier Périodique, est d’une richesse exemplaire et illustrative des premiers changements littéraires par l’écrit. Le second groupe est ce qui est admis par le nom de « Groupe de Vincennes ». Quoi qu’il dépasse l’espace de l’université de Vincennes, dans la mesure où certains de ses membres sont aussi de l’extérieur de l’université.

Le troisième groupe, le plus invisible de tous, est ce qui est convenu d’appeler le groupe de Tazmalt. Malgré que son action soit importante, il reste globalement inconnu dans l’histoire de la littérature kabyle. C’est parce qu’il est menacé par l’oubli que je consacre ce petit texte en espérant attirer l’attention des gens sur les membres de ce groupe et sur leur action importante dans la littérature kabyle.

Ce groupe Tazmalt était une association sociale et culturelle crée en 1983. Très vite, les membres avaient mis en place, durant l’année 1985, une revue, de poésie, nommée en français Rivages, en arabe ضفاف. Abdelaziz Yessad, Rachid Titouah, Atmane Tazaghart, Farid Abache et Malek Houd étaient parmi les membres les plus actifs de cette revue. Les trois premiers numéros de cette revue publiaient des textes essentiellement poétiques uniquement en langue arabe et française. Au quatrième numéro, les pages centrales de cette revue proposaient des textes en kabyle. A partir de ce quatrième numéro jusqu’au neuvième, le tout dernier avant l’essoufflement de l’association et de la revue, chaque livraison contenait, dans les pages centrales appelées Asqif n tmana, des textes en kabyle. Ces derniers sont :

  • Yettru weqcic de Malek Houd
  • Urgaɣ de Malek Houd
  • Afrux de Yahia Bellil traduit en français par Rachid Titouah
  • Tabrat de Yahia Bellil
  • Aql-i… d’Abdelkader Abdi
  • Yir talalit de Brahim Tazghart
  • Lefsul d’Abdeslam Houd traduit en français par Y. Zeggane
  • Nnger n ddunit de Malek Houd, traduit en français par Rachid Titouah
  • Agujil de Malek Oubelaid traduit en français par Y. Zeggane
  • Tayri-w de Ouali Madjid traduit en français par Yahia Bellil
  • Asigna asekkal de Foudil Aguersif
  • Zdit Igallen de Younes Houd
  • Mihyaf de Malek Houd
  • Imektiyen d’Atmane Tazaghart
  • Assen ahat d’Ahmed Oumaziz
  • Yenna umeddah de Brahim Tazghart
  • Tiɣilt ur nettettu de Malek Houd
  • Tuber de Malek Houd
  • Texte sur Matoub signé par B. T.
  • Traduction du poème Parole d’homme de Mohamed Ismail Abdoun par Ahmed Oumaziz
  • Ccbaha, poème de Baudelaire traduit par Kamel Berrabah
  • Ul ur numin d’Ali Abbalache
  • Ur nelli d imaziɣen de Mohamed Haroun
  • Amur-iw de Foudil Aguersif
  • Tunageḍ, aql-aɣ di meyya… de Brahim Tazaghart

A ces poèmes, il faut ajouter des textes en prose comme :

  • Macahu, conte recueilli par Yahia Bellil
  • Un texte sur Mouloud Mammeri de Yahia Bellil
  • Un texte sur Taous Amrouche de Yahia Bellil, avec présentation de trois textes chantés par cette dernière.

Ces textes ont une valeur historique car ils sont parmi les tous premiers textes publiés en kabyle en Algérie, dans une revue locale. Par ailleurs, la valeur de cette revue est d’avoir fédéré des sensibilités créatrices en arabe, en français et en kabyle. Ces dernières vont par la suite contribuer d’abord à la mise en place des poésiades de Béjaia et puis à participer, chacune à sa manière, à l’animation de la littérature kabyle. Il n’est pas anodin de signaler ici le rôle joué par Yahia Bellil dans l’enseignement de la langue ; il est connu pour ses contributions pour la formalisation des compétences de lecture dans les programmes scolaires.

Par ailleurs, il est, avec Djamel Arezki, le coauteur de l’ouvrage sur le prince des poètes, Mohand Said Amlikech, travail de collecte et de sauvegarde mais aussi entreprise de patience et de  valorisation culturelle.  De son côté, Brahim Tazghart est devenu l’un des auteurs les plus en vue avec plusieurs livres de différents genres (nouvelles, poésies, romans, traduction). Il est aussi l’un des éditeurs les plus importants dans la littérature kabyle ; son catalogue est un bon indicateur de l’évolution de cette littérature à partir de la fin de la première décennie du siècle présent. Quant à Malek Houd, tout en étant enseignant de tamazight depuis 1995, il est, lui aussi, parmi les auteurs les plus productifs aussi bien en termes de nombres de livres que en termes de diversité des genres littéraires (conte, poésie, nouvelles, roman et traduction). Ces deux auteurs ont aussi des manuscrits à publier.

Ce présent texte se veut une invitation à ne pas oublier les agents ayant fait des actions importantes. L’histoire littéraire du kabyle en dépend. Par ailleurs, on ne doit pas être ingrat à leurs vis-à-vis. Le manque de reconnaissance et l’ingratitude sont aussi des moyens d’effacement culturel.

Mohand Akli Salhi