La rencontre avec M. Manis Amrioui a été particulière et loin des cercles spécialisés comme les universités et les maisons de cultures. Il est venu présenter une œuvre témoignage sur son vécu intitulée « Talalit-iw tis-snat – Nezmer ad nedder d nekkni » ( Ma seconde naissance. Vivre moi-même ). Elle est disponible en français sous le titre « Renaissance et résilience – Mémoire d’une vie en mouvement ». 

À Gatineau ou à Montréal, un public curieux et assoifé de littérature a honoré ce rendez-vous. Le contact a été des plus instructifs par la quantité d’informations échangée avec l’auteur et exceptionnels par les réflexions qu’il y a confessées.

En deux versions, l’origine étant écrit en kabyle et la traduction en français, il s’agissait d’un récit autobiographique, à cœur ouvert, sans tabou, ni censure, ni un quelconque reproche. À croire les cheveux sel et poivre, l’auteur a monté les tableaux des années de la guerre de libération, de l’indépendance et du déclin social et économique en cresendo. Enfant, il a été témoin de la misère, des péripéties de la guerre, du déplacement des populations, de l’exode, du manque de tout et du déchirement familial. Dont il disait « Tikwal steqsayeɣ iman-iw, amek ur xlexlen ara wallaɣen n yigerdan… » (Quelquefois, je m’interrogeais, comment les cerveaux des enfants ne s’étaient pas brouillés; p. 114). Dans ce contexte, je vous recommande de lire aussi « L’enfance confisquée de Dr Rachid Belhabib, 2009 ».

Après la fin de la guerre, dont la maison était soufflée par un obus, la maman handicapée et deux frères qui portaient des blessures, le retour au village n’avait pas été sans peines non plus. Quelques classes de primaire de la post-indéopendance et l’enfant Manis s’est retrouvé au lycée technique de Dellys. Cette étape réussie, sa tête pleine de rêves et d’espoir à servir, il s’était engagé avec Sonacome et il avait fait partie de petits contingents envoyés étudier dans les pays socialistes, surtout du bloc  nonaligné. Il était revenu de la RDA en sa qualité d’ingénieur en mécanique. Son affectation à Médéa puis Sidi Belabbas lui ont valu une bonne expérience de terrain et des exploits. Seulement les ombres de progrès industriel, culturel et social de l’Algérie indépendante n’avait pas germé avec les mêmes aspirations chez le peuple. S’être investi corps et âme au travail ne lui a pas été de tout repos. L’auteur était forcé de quitter le pays pour retourner s’exiler en RDA.

Après un exil d’une trentaine d’années,  M. Amrioui, ingénieur en mécanique, retraité, revient au village avec une tête pleine de nouvelles idées et de projets innovateurs pour son petit monde des Ait Yahya Moussa.

  1. Manis a résumé l’idée initiale de Axxam n tmussni par « uklalen warraw-nneɣ ad ɣren akken iwata deg wakud n tura, mačči ay-en ara sen-yesxeṛben iman-nsen,…» (nos enfants méritent d’étudier de la bonne façon dans ce temps, sans brouiller leurs âmes).

Un cercle de neveux et de nièces curieux et interrogeurs, qui avait commencé dans la cour de la maison familial, avait attiré les enfants des voisins et avait permis d’aménager un ancien garage abandonné en « école » communautaire. Par la bonne volonté de parents et des enfants, un milieu d’apprentissage, baptisé « La maison du Savoir » a vu le jour pour  occuper les enfants après les classes et durant  les week-end. De jour en jour, la marmaille y aiguisait sa curiosité pendant les heures d’oisiveté en échangeant avec des enseignants, des parents et des étudiants. Chacun d’eux trouvait son rôle dans cet apprentissage sur le tas.

D’autres projets, comme le tri des déchets, le compostage, le camion d’arrosage, 1000 oliviers dans une exploitation familiale,… ont été initiés avec la participation de ce monde rural souvent isolé des activités urbaines. Des visiteurs et des curieux n’ont manqué pas à faire un détour par « La maison du Savoir ». Le dernier projet en date est la maison d’édition qui porte le même nom. Elle a pris en charge le récit de Manis dans les deux langues.

Une vraie foumilière, disait-on. Dommage! elle n’avait duré que dix années et cette expérience n’avait pas été reproduite ailleurs… Comme disait le dramaturge Térence, tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir. L’auteur a réservé un épilogue d’espoir, je cite « Si tura ɣer sdat, Axxam n tmussni yessefk ad ibeddel imawlan, ad ibeddel udem, ad ibeddel tikli. … » (Dorénavant, « La maison du Savoir » doit changer de mains, changer d’aspect, changer de façon de faire,…; page 274) pour s’adapter aux nouvelles méthodes de transmission de connaissance, aux approches dédactiques plus souples et plus attractives, disait l’auteur.

Revenons au récit littéraire en question, en kabyle.
En guise d’avertissement et afin d’éviter toute remise en cause objective, M. Manis a défendu la subjectivité de son œuvre dans « Kemm d kečč yeṭṭfen adlis-a ger yifassen, ur ssutur ara nnig n way-en i d-yekkan seg wul » (Vous qui tenez ce livre dans vos mains, ne vous attendez pas à plus que ce qui a jailli du cœur; p. 5).

Il a aussi mentionné au lecteur son intention à travers cette œuvre : «  Riɣ ad d-laleɣ tikelt tis-snat send tamettant-iw. Di tlalit-iw-a tis-snat, ad d-laleɣ d NEKK. » (Je voulais naître une seconde fois avant de trépasser. Dans cette naissance, je renaîtrai moi-même; p. 12). Car toutes ses années passées à voyager, à rencontrer et à échanger avec le monde entier lui avaient fait prendre conscience qu’il n’était ce qu’il porte officiellement, ce qu’on lui a inculqué à son enfance. D’ailleurs, l’œuvre en question est parsemée de valeurs et de traditions villageoises qu’il a jadis connues. Elles étaient toujours sujet à la comparaison dans ses réflexions.
L’œuvre, ciselée dans un style concis et fluide, est une suite chronologique de la vie de l’auteur jusqu’à la fermeture de « La maison du Savoir ». Chaque événement avait son importance dans le choix des voies suivies ou des bifurcations évitées. Il les a présentés tels que vécus sans censure ni tabou avec des sonorités et des particularités grammaticales propres aux Ait Yahia Moussa.
L’œuvre est répartie en plusieurs petits récits narratifs, indépendants les uns des autres, et est incrustée de descriptions et de précisions. Les lieux, les personnes et leurs comportements y sont détailés afin de parfaire l’image reconstituée chez le lecteur. Ce sont des récits pédagogiques que des élèves peuvent étudier en classe. À lire et partager entre autres, les récits de guerre, la rencontre de l’infirmière combattante (p. 80), l’hommage rendu à tamussni des parents (p. 26), l’autocar de Laazib n Zamoume, Lhocine n Amar Kaci (p. 123), un âne pas si bête (p. 145),…

L’auteur a, à plusieurs endroits de la lecture, apostrophé ce dernier pour émettre son avis et l’impliquer dans ce récit. Il n’a pas également été avare de ses réflexions et ses points de vue sur tel ou tel événement ou comportement afin d’insiter son lecteur à y réfléchir par lui-même.

Agzul s teqbaylit :

Talalit-iw tis-snat – Nezmer ad nedder d nekkni ( Manis Ɛemṛiwi – 2023)

Adlis-agi d tasekla deg umaḍal n taddart. Ulamma tawacult akk tegguǧ, temzerwaɛ si taddart ɣer tayeḍ, ɣer Leɛzib n Ẓeɛmum syin tuɣalin ɣer taddart, Manis yezga yettawi-yettarra ger wazalen n taddart. Yettekki di lebni n wexxam-nsen di 1963, axxam n Bierbach deg 1988, axxam n tmussni deg 2010.

Di 1964, yewweḍ ɣer tesnawit n Delles; di 1970, s tallalt n Sonacome, yewweḍ Leipzig – Magdeburg di Lalman; di 1975, tuɣlin ɣer tmurt d ajenyuṛ n tmikanikt, di Sonacome n Mdiyya syin Sidi Belɛabbas. Di 1980, tuɣalin ɣer Lalman, Bierbach, d iminig.

Tira n Manis, d tinigt ɣef tmeddurt-ines, netta : taddart – taɣuri – axeddim – inig – tawacult. Tugar deg-s tilawt d tmeddurt akk-en tella, war-tuzzmiwin, war-acqirrew.
Am wakk-nni yeqqar umedyaz « Nessen abrid nexḍa-as… » : d adlis ɣef umaḍal n tfukal n tmeddurt n yiwen uneɣrim, Manis Ɛemṛiwi. D acu kan, cwi, taggara n tinigt-agi teffeɣ d asirem.

Taɣara n tsekla ( awalen-agi i yinelmaden d yiselmaden ):

  • Tameslayt n Wat Yeḥya Musa, s wawalen d tjeṛṛumt-is.
  • Aglam n usayes n tira.
  • Asefruri di tektiwin.
  • Tidett akk-nni i tt-yedder umeskar, akk-nni i tella di tilawt; War-akukru, war-agdal d war-akeɛrer.
  • Adlis-agi yebḍa d tullisin – tidyanin (tidyanin n ṭṭrad, tadyant n tefremlit tamjahedt (asb.80), Lkaṛ n Leɛzib (asb.107), Lḥusin n Ɛmeṛ Qasi (asb.123), aɣyul yessen (asb.145),…). Yerna-as sya ɣer da asekti d wesqerdec.
  • Tikwal di tira, Manis yettmeslay i yimeɣri ( « D timseḍsa, yax akk-a? » (asb.139), « Faqeɣ-awen tebɣam ad teḥṣum!(argam n tmeṭṭut n Bab Lwad) » (asb.127),…).