Tawkilt tamcumt, roman de Rachid Tighilt, 159 pages, publié par les Éditions Imtidad en 2024, se présente comme un roman fantastique dont le titre lui-même en porte la trace annonciatrice de cette qualité. Le terme « Tawkilt » qualifié de « tamcumt » porte déjà, par le sens dénoté et culturellement connu (toutefois embelli par un humour possible), la marque du surnaturel de l’un des personnages et, par conséquent, de l’histoire racontée. On peut penser, et à juste titre, que le registre fantastique est la marque stylistique la plus importante. C’est un fait inhabituel dans le roman et plus globalement dans la culture kabyle.

Le merveilleux est dominant dans la prose traditionnelle. La manifestation du fantastique dans les contes et les autres récits de l’oralité traditionnelle est plutôt sporadique. Relever donc cet aspect n’est que justice rendue pour ce texte et ceux qui l’ont précédé, comme les textes de Fahem Messaoudene, Anza (Richa Elsam, 2015) et, à un degré moindre, Izen yeffer wakal (Éditions Ccix Muḥend Ulḥusin, 2023). Toutefois, il me paraît que cette présence imposante du fantastique peut cacher bien d’autres aspects stylistiques non des moindres de ce texte.

En effet, personnellement, je vois dans l’éclatement générique de ce texte l’une des caractéristiques stylistiques les plus importantes. La focalisation permanente et constante sur l’événement principal de l’histoire (chercher un lieu comme décor pour la réalisation d’un film sur les fées), caractéristique de l’écriture de la nouvelle, donne une assise à une énonciation tantôt faite de discours intérieur tantôt de parole théâtralisée où le souffle narratif (typique du romanesque) est assuré justement par deux types de passages : d’un côté, le passage du souhait au rêve et puis à un semblant de réalité et, de l’autre, le passage de l’univers intérieur du personnage narrateur (on apprend qu’il s’appelle Fiḥel) à la romance de la rencontre entre lui et les autres personnages, notamment avec Tawkilt (dans le rêve d’abord puis dans la réalité). Cette rencontre (nouvelle-théâtre-roman) donne au texte une teinte aussi bien originale qu’invitante à soumettre les dogmes de la critique à la révision qu’impose la réalité des textes.

Une autre caractéristique stylistique de Tawkilt tamcumt se situe dans la relation entre l’humour et la théâtralisation de la parole. Cette relation est, entre autres, à interroger comme moyen de prolonger le récit mais aussi comme astuce permettant d’établir un contact permanent avec le récepteur de la narration et se poser des questions sur les possibilités de conduire cette dernière. C’est un texte qu’on lit avec le sourire aux lèvres mais aussi avec une certaine gravité car le narrateur(-personnage) ne cesse de s’interpeller sur la manière la plus adéquate de raconter son histoire. Il va jusqu’à remettre en question sa compétence à le faire d’une manière conséquente. Ce faisant, le lecteur se prête volontiers à ce jeu concernant la suite de la narration. Là aussi, c’est l’une des forces stylistiques de ce texte.

Par ailleurs, cette relation (humour et théâtralisation) est également exploitée pour établir une sorte de jeu entre le narrateur et le lecteur dans la mesure où ce dernier est à plusieurs reprises interpellé par le premier. D’un côté, c’est une manière de maintenir l’attention du narrataire (celui à qui on raconte l’histoire) et, de l’autre, de gagner du temps pour trouver les meilleurs moyens de continuer la narration de l’histoire. Certains passages sont présentés comme des dialogues intérieurs, je dirais mieux : des soliloques dans lesquels le narrateur situe, avec hésitation et un semblant de regret, la faisabilité et la pertinence de son projet. Ces passages, nombreux et répétitifs à des moments importants dans le déroulement du récit, sont à prendre comme des apartés à destination du lecteur (ce qui justifie entre autres l’écriture dramaturgique dans le texte). Ce dernier prend l’information avant les autres personnages.

Toutes ces facettes stylistiques, et bien d’autres que le lecteur prendra le soin d’apprécier de lui-même, participent à embellir le texte Tawkilt tamcumt en atténuant, d’un côté, les faits du surnaturel et en manipulant, de l’autre, le registre du fantastique.

Mohand Akli Salhi