Architecture adaptée à l’environnement et aux éventuelles agressions.
…Nous Rentrons « chez nous » à Guellala, belle petite ville située au sud de l’Ile et qui porte bien son patronyme amazigh : aqellal (la jarre). Entre deux ateliers de poterie s’insère un…autre atelier de poterie. Au centre de la coquète petite ville s’élève la jarre la plus haute et la plus lourde au monde. Vous l’avez compris : la poterie, avant l’huile d’olive, est la première ressource des Guellalis de Djerba. Un festival international lui est dédié une fois l’année, au mois d’aout. L’événement, qui dure une quinzaine de jours, connait une affluence importante : plus de cinq mille visiteurs s’y rendent quotidiennement moyennant un dinar tunisien. De quoi faire rêver le mouvement associatif de chez nous.
Le soleil n’est pas loin d’aller de l’autre côté du globe. On nous avait conseillé de ne pas rater le coucher du soleil de Sidi Yati, cette mosquée ibadite qui a pied dans l’eau et qui, en plus d’assurer le rite religieux, faisait, dans le passé, office de guérite d’alerte. Oui, la population pacifique de l’ile faisait l’objet d’agression. Ces agressions répétitives ont été à l’origine d’une architecture adaptée aux attaques. Ce qui explique la conception des huileries souterraines dont on ne peut soupçonner l’existence à un mètre de distance. A Timzeret, dans la région de Matmata, les demeures du village bâti sur la colline ont toutes une issue souterraine. Dès que l’alerte est donnée, les maisons sont verrouillées et les habitants prêts à emprunter les souterrains et se mettre à l’abri sans que personne ne s’en rende compte.
Le soleil s’apprête à s’incliner. Touristes et Guellalis friands de couchers de soleil se sont donné rendez-vous à Sidi Yati. Des jeunes et moins jeunes, et sans grand effort, empilent leurs nasses de crabes. Le crustacé n’est pas vraiment prisé à Guellala. C’est aux hôtes de la zone touristique qu’il est destiné.
Radio Ulysse : Tangalt à l’honneur
Le lendemain, nous sommes conviés aux studios de Radio Ulysse, radio privée de Djerba implantée à Houmet Souk , l’une des villes les plus importante de l’Ile. On attendant que le studio se libère, Salah Ben Mahmoud, notre ami journaliste, nous fait visiter le siège de la radio, avant de nous installer dans le salon. Une troupe folklorique s’apprête à honorer la fête du mouloud sur les ondes de Radio Ulysse. La radio passe, avec aisance et sans complexes , du djerbi à l’arabe en passant par français, l’anglais et autre italien. Très en avance et très loin de nos radios zawiya. Notre tour arrive. Nous nous installons. Notre intervieweur commence par nous présenter en tamazight, avant de traduire en arabe tunisien. Il était intéressé de savoir où en est la presse d’expression amazighe en Algérie. Nous lui avons parlé de ses balbutiements, de l’espoir qu’elle avait suscité et de la désillusion. La première partie du direct a été interrompue par un clin d’œil à la kabylie : histoire de marquer la fête de l’aïd, la voix de Mokrane Agawa est diffusée sur les ondes de radio Ulysse. La deuxième partie de l’entretien a essentiellement focalisé sur Tangalt : comment elle est née, sa ligne éditoriale et, surtout, l’ambiance d’en faire une revue nord-africaine. Après plus d’une heure de direct, nous sortons du studio. De la régie, on fait signe à Salah Ben Mahmoud : un libyen qui nous écoutait et qui se trouvait à Djerba a appelé la radio et a émis le vœu de nous rencontrer.
Neffoussa adopte Tifinagh
Nous rencontrons, Mahmed, le libyen en question le lendemain dans le siège de « Djarba Tawasul ». Mahmed est venu avec son épouse, tous deux amazigh de Nefoussa. Lui est « concepteur » de manuels scolaires ; elle enseignante de tamazight. A peine les présentations faites, ils nous invitent chez eux, une centaine de kilomètres de l’ile. Nous l’avons remercié sur fond de sourire, un sourire qu’il a interprété comme une peur. « Vous n’avez rien à craindre. Ne croyez tout ce qui se dit dans les médias. En plus, nous contrôlons les frontières (frontières à 60 km de Djerba contrôlées par imazighen de Nfoussa, ndlr) », nous rassure-t-il. Nous lui expliquons que nous n’avons pas beaucoup de temps, nous devons renterez en Algérie et que nous leur rendrons visite avec plaisir, l’année prochaine.
Cela étant dit, nous échangeons à propos de la situation l’enseignement de tamazight dans nos deux pays.
Nous apprendrons qu’on Libye, l’enseignement de tamazight va bon train, du moins dans les régions amazighophones. Le caractère Tifinagh est celui qui est adopté. Le choix du tifinagh n’a pas été imposé par une autorité officielle en Libye. « Le tifinagh renvoie à notre identité millénaire. C’est tout naturellement que nous l’avons adopté », nous explique tout simplement Mahmed. Son épouse, l’enseignante de tamazight, acquiesce. C’est alors que Mahmoud Ben salah, qui assure bénévolement l’enseignement de tamazight à Guellal, rebondit et pose un tas de questions à propos de la sonorité que rend telle ou telle lettre de tifinagh.
Neffousa, Djerba et Kabylie : coordination en perspective
Nous ne pouvons rater l’opportunité de la rencontre d’un amazigh de Libye, de Tunisie et d’Algérie pour soumettre à appréciation deux idées. Il s’agit de la possibilité de « jumeler » trois associations, ou créer une coordination, à l’effet d’insuffler une dynamique culturelle à l’échelle nord-africaine et de la possibilité de faire de Tangalt la revue de Tamazgha. Les deux propositions ont été bien accueillies, le tout est de prendre le temps qu’il faut pour murir les projets. Mais d’abord prendre le temps d’engager une réflexion sérieuse. Le temps nous ne n’avions pas : il ne nous restaitque48 h en tunisie, Mahmed, de son coté devait rentrer le soir même. Le rendez-vous est donné via WattsApp, en attendant la rencontre physique, prévue pour l’été prochain. Nous nous séparons avec promesse de « réussir quelque chose ensemble ». Au moment où le séjour à Djerba devenait intéressant, la rentrée scolaire pointe du nez, donc, retour au bled imminent.
Pr Tmarzizet, un amazigh arabophone
Encore 24heures à rentabiliser. Rendez-vous est pris pour le lendemain avec Pr Kamel Tmarzizet, à la périphérie Midoun, la deuxième ville importante de Djerba. Le Professeur nous accueille dans la véranda de sa belle petite villa intégrant agréablement l’architecture type de Djerba. Notre hôte est âgé de 88 ans, mais il a bon pied et œil vif. Kamel Tmarzizet, actuellement en retraite, a participé dans le cadre du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) à des études, à des enquêtes ethnologiques et à des travaux dirigés par la regrettée Germaine Tillon. Avant de prendre sa retraite, il devient conseiller d’un bon nombre d’agences de voyages, avant d’accéder au grade de guide-conférencier agissant dans plusieurs pays. Il est l’auteur de, entre autres, Tunisie terre d’accueil (1973), Si Jerba m’était contée (1980), Jerba, Synagogue El-Ghriba (1994) et le tout dernier, l’objet de notre visite, Jerba contes berbères de l’Ile (2024). Au départ, nous n’avions aucun doute à propos de sa maitrise du tamazight.
Non, Kamel Tamerzizet n’est pas amazighophone. C’est avec regret qu’il nous l’avoue. Cela étant, il a conscience de son identité et la revendique à sa manière. Sachant que nous sommes amazighs d’Algérie et de kabylie dont il compte beaucoup d’amis à Paris, il nous demande, à tout hasard, ce que signifie son nom, Tamerzizet. Nous n’avions aucune réponse à lui donner, mais lui avons promis de demander à des amis , une fois en Algérie. Dans quelles langue donc avait collecté les contes berbères de l’Ile ? En arabe djerbi narrées par, lit-on en 4ème de couverture «Echeikh Aâm Said, ce sage à la longue barbe blanche prit un jour la peine de me les conter avec grâce et sourire. En réalité , ces histoires ne sont que le prélude d’une série de légendes que le vieux sage s’est résigné à nous conter. A son grand regret, ce noble vieillard, rongé par l’arthrose et atteint de surcroit de cécité, ne pouvait longtemps converser et encore moins écrire, pour préserver de la disparition définitive l’essentiel de notre culture orale ».
La discussion de plus en plus interessante, mais le temps presse. Nous prenons congé du Professeur, après avoir échangé nos mails et nos WattsApp.
Plus que quelques heures à consacrer à Djerba, avant de prendre la route du retour.
Le lendemain, Djerba Gafsa, Gabes, Kesseraen…Bouchebka, Tebessa…
Tahar Ould Amar