Grandes foules (oui, au pluriel) au Sila, ce samedi 09 novembre. Le pourtant immense parking du palais des expositions est plein à régurgiter les quatre roues. Pas de bol pour les derniers arrivés. Alors, ils se rabattent sur le parking de Mesdjed Al Djazayer et celui de l’hyper marché Ardis.
Crachin à l’anglaise se mêle à l’humidité de la grande bleue. Beaucoup de bus déversent des jeunes, beaucoup de jeunes, enturbannés de kiffiehs. Accoutrés ainsi, ces jeunes exprimaient leur soutien à la cause palestinienne et semblaient même s’époumonaient : Gaza, nous arrivons !
Pas facile de se frayer un chemin jusqu’au portail-entonnoir de « la foire ». Nous y arriverons, un bon quart d’heure après et une moiteur agaçante. Plus de monde encore à l’intérieur. On s’arrête un instant, en respire un bon coup et, en voyant cette ruée vers le livre, on se dit : rien n’est perdu dans ce bled ! N’est-ce pas que lorsque le livre va, tout va ? Nous avançons vers le pavillon central. Et là nous sommes agréablement surpris par une image saisissante : nombre incomptable de jeunes se bouscule pour acquérir et se faire dédicacer le dernier roman d’un certain Ossama Al-muslim.
Qui est-il donc cet écrivain qui draine autant de lecteurs ? Comment se fait-il que l’on soit passé à coté de peut être la réincarnation de John Steinbeck, Kateb Yacine, de Edmond de Goncourt, de Nadjib Mahfoud… Il sort d’où ce Ossama AL-muslim ?
Une petite recherche nous renseigne sur qui il est : il est saoudien et est spécialisé dans le genre fantastique et noir. C’est un peu le Harry Potter du Moyen Orient. Il a édité 32 romans. Intitulé Al Khuf (la peur), le dernier en date, semble avoir « casser la baraque », pour preuve cette foule frénétique attendant de pieds fermes l’arrivée de la star. La toile s’enflamme s’empare du, désormais, phénomène Ossama . Les points de vue sont différents. C’était, pour beaucoup de pages anonymes, l’opportunité de déverser leurs «ismes». Pour ces anonymes sortis d’un autre âge, Ossama est la preuve romanesque de la victoire de la langue arabe sur les langues impies en terre d’islam et arabe qu’est l’Algérie. Sempiternelle guéguerre de clocher entretenue par un système éducatif qui a désespérément tourné le dos au rationnel, au progrès et à l’intelligence. Ossama est sans aucun doute l’une des résultante du déboulonnage du wahabisme entreprit par le roi Salman Ben Abdelaziz, pendant que nous, nous nous enfonçons davantage dans le bourbier fondamentaliste
Beaucoup de monde aussi à l’intérieur du pavillon central. Le livre religieux et l’espace qatari sont assaillis. On s’y bouscule pour un selfie avec des moyens orientaux en disdasha (habit qatari) plus blanc que blanc. Le scène fait réagir un jeune algérois agacé qui n’a pu s’empêcher de dire, sur fond d’humour, à l’un des «selfiteurs» : ya kho, ckun hada-k , Tom Cruise wella Ronaldo (hé mec, c’est qui lui, Tom Cruise ou Ronaldo)? Nous cherchons des yeux tasekla. Nous retrouvrons une bonne partie dans le stand réservé aux Editions Imtidad. Pas moins d’une vingtaine de titres y sont exposés dont «Tigusa n tissas», de Rachida Bensidhoum et «Tawkilt tamcumt», de Rachid Tighilt. De temps à autre, attirés par les couvertures, on s’y arrête, on prend un livre, on essaye de « déchiffrer » le titre. « C’est écrit dans quelle langue ?», demandait carrément un des visiteurs, avant que celui qui semblait être son ami ne lui réponde : «je crois que c’est de l’anglais ». Oui, on en est là ! Mais de temps à autre aussi, vraiment de temps à autre, quelques épris de tasekla, s’arrêtent, discutent, littérature, avant de repartir avec un livre.
14 heures passées. Nous sortons, manger, vite fait, un petit quelque chose et éventuellement revenir avec un gobelet expresso. Les chapiteaux-chawarma sont assiégés. Les cuistots des fast-food se gavent les…poches. Pauvres Éditeurs, pauvres auteurs !
Tant pis pour le chawarma qui allait nous faire perdre une bonne heure dans l’interminable queuleuleu. Au retour, nous constatons encore plus de monde attendant la dédicace de l’écrivain saoudien. Cette image de Ossama prit d’assaut, quand bien même elle flatterait l’ego algérien, nous interpellent et, surtout, nous pousse à nous interroger : pourquoi pas autant de monde pour s’arracher le dernier Mezdad, Tighilt, Boudjedra ou encore Benhadouga, Yacine, Mimouni, Mammeri… réédités ? Comment y pallier ? Faire appelle au Roi Salman ben Abdelaziz Ben Saoud ?
Tahar Ould Amar