Sept comme ce sept décembre qui est devenu détestable, ressemblant funestement à un vendredi 13. Et mille sabords ! Ne sommes-nous pas d’ailleurs, vendredi 13 de malheur ? Tu pensais que j’avais oublié cet important anniversaire de DEUX décennies entières ? Quelle idée !
Je sais que tu n’aimes pas les hommages, et je l’ai compris il y a belle lurette. Oui, l’idée n’a pas mis longtemps, mais j’ai fini par comprendre.
D’abord, tous ceux qui prétendent te connaître, surtout ceux qui t’ont beaucoup pris et ne t’ont presque rien rendu, n’ont pas la grandeur nécessaire pour te passer au-dessus de la tête pour te décerner une médaille. Non, il leur faudrait une bonne échelle. Et ils ne l’ont pas encore compris.
Ensuite, c’est souvent pour se mettre en valeur, eux, qu’ils et elles le font, au lieu de s’effacer pour te laisser la plus grande place possible sous la lumière. Combien de fois moi-même, j’ai failli m’étrangler de colère devant le « modèle d’hommage à la kabyle » qui a réduit, et continue de le faire systématiquement, le parcours de tant d’hommes et de femmes à des anecdotes. « L’hommage par l’anecdote », et seulement l’anecdote, quelle disgrâce ! Passant à côté de l’essentiel.
Voilà qui te mettrait en rage six pieds sous terre, en les découvrant avec leur air « satisfait », croyant – « msakit » – qu’ils t’ont anobli. L’ouvrir en grand, pour rapporter par cet exemple parmi tant d’autres que vous vous étiez retrouvés, il y a 40 ans rue d’Amboise, à ton épicerie et que vous avez descendu six bières chacun ! Quelle indignité. Qu’ont-ils saisi de ton trésor ? Celui de ton œuvre gigantesque. Combien de tes pièces sont jouées annuellement ? A-t-on entendu pareil hommage chez les autres peuples ? Non.
Ces derniers égrènent par le menu la bibliographie, l’inspiration, le ton, le style, l’énergie qui est mise, la touche personnelle, la motivation de tel ou tel choix dans la réalisation d’une œuvre, le génie qui a fait son succès, et je pourrais continuer ainsi toute la nuit. Où a-t-on parlé de Molière, d’Hugo, Beckett, Platon, Périclès…, avec, comme évocation, s’être bourré la gueule entre copains pour dépeindre le trésor qu’ils nous ont laissé ? Inimaginable et insensé, nulle part, bien évidemment.
Voilà aussi pourquoi, comme on dit, tu détestais « comme le fiel » l’appellation d’« intellectuel ». Ça brasse du vent et ça n’apporte que dalle. La preuve. Regarde où nous en sommes encore !
Enfin, humblement, je perçois ce qui t’irritait tant dans les hommages : nous autres, incapables de dépasser le maître, voire seulement l’égaler sauf quelques rares exceptions, nous baignons encore et toujours dans « le vieux ». Et c’est même une catastrophe quand on tente de le moderniser.
En réalité, ce fameux hommage avec fleurs, costumes, embrassades, photos à gogo, le cérémonial interminable qu’on fait bien durer, n’a au final qu’un seul but : se donner bonne conscience. Oui, une fois cette « fête » terminée, on rentre chez soi avec le sentiment de grande fierté d’avoir accompli un supposé devoir. Là où, en réalité, on a surtout flatté son propre ego. Voilà à quoi ça sert. Alors il faut changer de paradigme dare-dare !
Cette pique ne s’adresse évidemment pas à ceux qui, hélas, ne l’ont découvert que par ses cassettes, et ne l’ont jamais rencontré, cela va de soi, mais à ceux qu’il appelait si bien : « Les Kabytchous ».
Pour ma part, j’ai tant appris à tes côtés et le bout de chemin a été très fructueux. Nul besoin de trop parler, je t’ai réservé en silence une grande place en mon cœur et mon esprit.
Repose en paix l’ami !
Daniel Aabech Christensen