Affluence, et qui plus est, belle affluence dans une salle de cinéma, et ce dans un pays qui du cinéma n’a gardé qu’un vague souvenir en noir et blanc ? Oui, beaucoup de monde, et du beau monde, s’était rendu jeudi dernier à la salle de cinéma Djurdjura de Tizi Ouzou pour y voir et surtout y « lire », en avant-première, Et si on parlait de toi.
C’est un Ali Mouzaoui aux anges qui découvre la quasi-totalité des sièges occupés. On le sent ému. Il ne manquera pas de dire sa joie devant cette imprévisible réconciliation public-cinéma. Un moment de bonheur qui, sans aucun doute, l’a renvoyé dans un passé où le cinéma n’était pas… muet.
15 heures passées. La belle salle dans le noir. Générique. Silence religieux. Djohar Amhis crève l’écran. Ce petit bout de femme, cette compilation d’amour, de générosité, de douceur et de don impose la révérence. La salle est accrochée à ses lèvres. Elle dit la vie, elle dit essentiellement la femme. « Et si on parlait de toi » semble lui murmurer à l’oreille Ali Mouzaoui. Rien à faire. Parler d’elle ne l’intéresse pas. Et lorsqu’elle le fait, c’est pour servir de « texte support » à un combat dont elle ne s’est jamais départie, depuis qu’elle avait décidé de cesser d’avoir peur. « Je vivais dans une peur permanente », avoue-t-elle à son intervieweur. Le « je » dans sa bouche n’est pas égocentrique, son « je » c’est l’autre, il renvoie surtout à la femme algérienne.
Djouher Amhis n’est plus dans le passé, elle est dans le présent. Pas nostalgique du tout. Elle pourrait faire sien « le bon vieux temps, c’est maintenant ! ». Nna Lǧuher, comme l’appelle son amie Ghenima Kemkem, ou encore la Perle comme l’appelle son autre amie, est un siècle, bientôt bouclé, de dons, de combat intellectuel-affectif, de construction. Ali Mouzaoui a su titiller l’humilité et la pudeur de Dame Amhis. Il n’y serait pas parvenu sans cette amitié et cette confiance mutuelle que l’on perçoit du début du film au clap final. « Tu es adorable, tu sais ! », lui dit-elle. La Perle « éclate » de rire, rire spontané, généreux et contagieux. Le « tu es adorable tu sais » n’est pas loin de « t’as de beaux yeux, tu sais », la célèbre réplique de Gabin à Michèle Morgan dans Le Quai des brumes. Nna Lǧuher, la Perle est adorable, a de beaux yeux et surtout ce n’est pas du cinéma.
Générique de fin. La salle est comme restée sur sa faim. Le film continuera sous forme de débat, un débat incontournable que le petit bout d’amour et son intervieweur ont imposé et, cerise sur le gâteau, sur fond de poésie. Ali Mouzaoui avait raison de dire qu’Et si on parlait de toi est un film à lire.
Tahar Ould Amar