Le 13 février passé, à la salle de cinéma Djurdjura à 15h, a eu lieu la projection en avant-première du film documentaire réalisé par Ali Mouzaoui, « Et si on parlait de toi », consacré à une figure importante de la culture : Djoher Amhis, enseignante et critique littéraire d’un type rarissime car dans ses livres, ses nombreux livres, elle allie analyse littéraire et pédagogie. Cette grande Dame a bien marqué des générations successives et des lecteurs particuliers.
Le titre de ce documentaire d’une cinquantaine de minutes est captivant par sa simplicité, néanmoins hautement allégorique. Par les deux mots clés du titre, celles et ceux venus nombreux s’attendaient à suivre sur le grand écran la trajectoire pleine et riche de celle qu’on appelle affectueusement Nna Ldjoher ; trajectoire remplie de l’amour du métier d’enseignante, de savoir-faire pédagogique, de générosité de transmettre et de bonté d’inviter, par ses livres formateurs et didactiques, à la lecture et à la découverte littéraire et culturelle. Allégorique car, une fois visionné, le public découvrira que rien de cela n’est dans le film (sauf dans des références rapides). Déçu ? Je ne pense pas. Bien au contraire. Je peux témoigner de mon cas personnel. J’étais agréablement surpris et généreusement bien servi dans ma curiosité par ce film. Je suis venu avec la ferme certitude de découvrir et de mettre des mots sur la trajectoire de cette merveilleuse Dame, et je découvre une partie de son intimité, allant de son enfance à l’âge adulte.
« Et si on parlait… », cette première partie du titre, résonne comme une demande d’entrer dans une zone que seule l’âme généreuse de cette Dame sait dire. La conjonction de coordination « et » semble fonctionner, tout au début du titre, comme une frontière entre la vie publique de la pédagogue et l’intimité de la personne. La seconde partie « …de toi » rime tel un point de mire lointain et difficilement accessible, ou comme un lieu situant cette intimité. Le titre en lui-même est esthétiquement une prouesse. Sa structure également.
La structure du film est, en fait, à la fois extraordinaire et complexe. Ce documentaire est construit sur une narration polyphonique. Plusieurs voix racontent, chacune à sa manière et à partir d’un angle particulier, l’intimité de Nna Ldjoher. La voix off, la voix de cette grande Dame elle-même et la voix du réalisateur, Ali Mouzaoui, se relient pour raconter des bribes d’une vie en formation. Les épisodes de cette narration sont ponctués par des indications écrites faisant office de repères agrémentant l’entretien mais aussi de moments orientant la narration, composant une sorte d’intrigue, tout en impliquant le spectateur en suscitant sa curiosité.
À cette polyphonie s’ajoute une dimension importante dans la structuration de ce film. Les épisodes de ce dernier sont présentés au spectateur d’une manière multimodale : l’écrit, l’oral et l’image s’interpénètrent pour former le déroulement du film. Tout cela se fait, au début du film notamment, sur un fond de théâtralisation du souvenir et de la confidence.
À un troisième niveau, on observe une diversité remarquable dans les procédés de figuration du sens. Ainsi dialoguent des symboles faits de tableaux de peinture dans le décor du cadrage, de chant ancestral avec la voix de Taous la cantatrice. Cet accomplissement artistique accompagne soit l’auto-narration, soit la narration par une voix off, soit encore par un échange sympathique entre le réalisateur et le personnage du film…
Au total, interview, narration et décor hautement signifiant concourent à produire la substance de ce documentaire. C’est-à-dire une construction et une communication d’une information principale faite de l’intimité d’une personne qui est devenue la femme que l’on connaît présentement et qui se dit d’une manière très pudique face à une caméra complice. Intimité révélée à doses pudiques et ponctuées de sourires et d’éclats de rires non moins pudiques.
La qualité de ce film est à situer, justement, dans sa capacité à mettre en honneur le personnage qui constitue son thème. En dépassant le strict objectif de proposer une information, son esthétique tire origine dans le dialogue hautement harmonieux des postures, des techniques et des procédés adoptés. Un film à voir.
Mohand Akli Salhi