Ait Menguellet a toujours chanté la femme. Le plus souvent, elle est appréhendée comme objet d’amour. Mais qu’en est-il de sa vision de la gente féminine du point de vue social ? Si, en début de carrière (fin des années 1960 – début des années 1970), l’artiste débutant n’a pu échapper au discours traditionaliste, son approche a changé du tout au tout avec le temps. En effet, entre la satire de la femme émancipée, “civilisée”, que représente la chanson “Ula d nek sɛiɣ lebyan” et le féminisme développé dans “Tameṭṭut” (2014), il y a un gouffre. C’est cette dernière oeuvre que nous avons analysée dans notre ouvrage “Ait Menguellet ou Le Poème pour Etendard. Analyse littéraire de l’album Isefra (2014) et que nous présentons aujourd’hui aux lecteurs de TANGALT.

Tlul di tsusmi / Ur telli tmeɣra
Akka zik-nni / Necfa-d mi neẓra
Ɣas yes-s ur yefṛeḥ / Baba-s mi yuyes
M’ara d-tecmumeḥ / Iṭij yefṛeḥ yes-s
Nelli-d allen-nneɣ / Ɛeql-itt d yelli-k
Ɛeql-itt d yelli-s / Ta-gi d yellit-neɣ

Tettɛassa f gma-s / Ula deg yiḍes
Mi d-yerna fell-as / Tbedd ɣer ɣur-es
Teɛya tettṛebbi-t / Fell-as yettcennif
Seg wakken tḥemmel-it / Tessaram ad tt-yif
Nelli-d allen-nneɣ / Ɛeql-itt d weltma-k
Ɛeql-itt d weltma-s / Ta-gi d weltmat-neɣ

Ma tɣumm deg ujellab / Ma tserreḥ i wemzur
Ma ttasmen leḥbab / Ma yusem waggur
Ilaq ad teṣṣer / Teḥjeb naɣ teffeɣ
Acḥal i teṣber / Tewwi lbaṭel-nneɣ
Nelli-d allen-nneɣ / Ɛeql-itt d zzwaǧ-ik
Ɛeql-itt d zzwaǧ-is / Ta d zzwaǧ-nneɣ

Tergagi tasa-s / M’ur d-ikcim mmi-s
Fell-as tefka ayla-s / Terna laxert-is
Nezga nesserwat / Fell-as i nettnaɣ
Ziɣen d nettat / I iɛussen fell-aɣ
Nelli-d allen-nneɣ / Ɛeql-itt d yemma-k
Ɛeql-itt d yemma-s / Ta-gi d yemmat-neɣ

Mi tzemreḍ faṛes / Awi izeǧǧigen
Terzuḍ ɣer ɣur-es / S wul zeddigen
D yelli-k d weltma-k / D tamɣart d tilemẓit
D yemma-k d jida-k / Neɣ d tabeṛṛanit
Nelli-d allen-nneɣ / Ɣur-wat ad nettut
Ta-gi d tameṭṭut / D tigejdit-nneɣ

LECTURE-DECOUVERTE

Cet hymne, ce vibrant hommage à la femme, se décline en plusieurs portraits comme autant de facettes d’un kaléidoscope.

1ère facette : L’enfant

La 1ère strophe compte 12 vers répartis comme suit :
– Un couplet de 8 vers. Métrique : 5 syllabes. Rimes : croisées (ABAB / CDCD).
– Un refrain de 4 vers. Métrique : 5 syllabes. Rimes : embrassées (EFFE, F étant une assonance en « i » : « yelli-k » / « yelli-s »).
Cette description est valable pour l’ensemble des strophes, à quelques menus détails près.
Le canevas du refrain est, lui aussi, commun aux cinq strophes avec des déclinaisons correspondant aux différentes facettes de la femme (fillette, sœur…)

1ère partie (v.1 à 8) : Un sort injuste

La femme est frappée par l’injustice des siens dès son arrivée au monde comme le montre le tableau suivant :

Attitude de la fille Attitude du père
M’ara d-tecmume / Iṭij yefṛeḥ yes-s – Tlul di tsusmi / Ur telli tmeɣra
– Ɣas yes-s ur yefṛeḥ-
– Baba-s mi yuyes

– La déception est générale (la famille, le quartier, le village) : “tlul di tsusmi / ur telli tmeɣra » (v. 1-2). La présence de l’indice temporel « zik » situe cette attitude, cet usage social, dans le passé. Mais les choses ont-elles pour autant évolué ?

– Ensuite, il y a une focalisation sur le père du bébé dont la réaction est des plus négatives : « ur yefṛeḥ », « yuyes » (v.5-6).

Dans ce triste tableau, il y a pourtant une lueur, celle du soleil qui répond au sourire innocent de l’enfant : « M’ara d-tecmumeḥ / Iṭij yefṛeḥ yes-s » (v.7-8). Cette notation qui oppose une force cosmique aux pauvres organisations humaines, relativisant ainsi ces dernières, permet d’anticiper le point de vue de l’auteur quant au principal enjeu de ce texte, à savoir les relations homme / femme.

2ème partie (v.9 à 12) : Réparation

Le refrain s’ouvre sur une affirmation qui oriente vers un changement dans la perception sociale de l’image de la femme : « Nelli-d allen-nneɣ ». La prise de conscience de l’injustice faite à l’élément féminin est rendue par la métaphore des yeux décillés : « neldi-d allen-nneɣ ». La 1ère personne du pluriel signifierait que la prise de conscience est générale, du moins devrait-elle l’être, comme le suggère la reprise de ce pluriel au vers 12 : « tagi d yellit-neɣ ». Cependant, les vers intermédiaires du refrain (v.10-11) indiquent que des progrès sont encore à faire :

Ɛeql-itt d yelli-k
Ɛeql-itt d yelli-s

L’Enonciateur s’adresse ici, à la 2ème personne du singulier, à un Enonciataire qui est d’abord représenté par une sorte d’archi-père subsumant l’ensemble des pères de fillettes, puis par les pairs du père, si l’on peut s’exprimer ainsi, et, pourquoi pas, par l’ensemble des auditeurs, hommes et femmes, ce que semble confirmer le retour à la 1ère personne du pluriel dans le dernier vers : « tagi d yellit-neɣ ».

Nous ne pouvons manquer de relever l’emploi de l’impératif pour exprimer le point de vue de l’Enonciateur : « Ɛeql-itt ». Ce verbe qui signifie en général « deviner », « reconnaître » au sens de la modalité du SAVOIR, a ici une connotation de reconnaissance-respect, de reconnaissance-gratitude. C’est un appel explicite, urgent, à une réparation de l’injustice faite aux femmes, qui plus est, à l’encontre d’un être qui vient à peine d’atterrir sur la planète.

2ème facette : La sœur

Les observations liées à la forme et à la structure du refrain valent pour le reste du texte. Nous n’y reviendrons pas pour l’instant. Nous nous contenterons, si l’on ose dire, de décliner les différents visages de l’injustice en les rapportant aux différents âges et statuts de la femme :

Attitude de la sœur Attitude du frère
– tettɛassa f gma-s /  ula deg yiḍes ( v.1-2 )
– tbedd ɣer ɣur-es (v.4)
– teɛya tettṛebbi-t (v.5)
– tḥemmel-it ( v.7 )
– tessaram ad tt-yif (v.8)
– yettcennif ( v.6 )

Le tableau est on ne peut plus éloquent : la disproportion est énorme entre le dévouement extrême de la sœur (voir les nombreuses marques d’intensité : « tettâassa fell-as / ula deg yies », « teɛya tettṛebbi-t »…) et la réaction, laconique, du frère ingrat (« yettcennif »).

Par Idir AMER