Sans prétention, aucune, à aborder ce sujet. Fruit de mes lectures depuis des années, je voulais apporter mon point de vue sur la nouvelle littéraire en kabyle, du moment que c’est le parler qui a vu le plus proliférer ce genre littéraire. Mais avant d’ébaucher le niveau atteint, aujourd’hui, j’ose d’abord poser une question : comment expliquer que ce genre narratif, la nouvelle autant que le roman, n’a pas pu émerger sur la terre qui a excellé dans la littérature orale par les contes, les récits et la fiction ? de surcroît, la terre qui a vu naître Apulée de Madaure au IIe ap. J.C., le premier à donner au monde la forme romanesque par son œuvre sur des péripéties de « Asinus aureus » (L’âne d’or ou Les métamorphoses).
Toute la méditerranée en est témoin, le peuple amazigh a depuis toujours pris part au développement et la propagation de la connaissance, la création et la science, autant que les guerres ; il a su laisser des empreintes par les noms des rois et des lieux… Ce peuple a puisé dans chaque époque et a semé dans chaque contrée foulée par ses pieds. Si l’on ne s’apprête qu’au jeu des vocabulaires, nous y découvrirons moult vocables similaires chez les peuples de la méditerranée ; quant à la littérature, l’humanité y a perdu les noms des géniteurs de beaucoup de textes anciens en commun, et aussi quel peuple les aurait empruntés. Heureusement que certains auteurs ont signé leurs propres textes : tels que Saint Augustin, Arnobe, Térence, Juba II, Apulée, Ajerrumi, Ibn Khaldoun, Oulqadhi et tant de nos contemporains qui ont laissé à l’histoire de quoi les rappeler. Ils ont écrit… mais dans la langue qui n’est pas la leur afin d’être de leur temps et d’émerger parmi les peuples. Ils ont écrit sur leur propre peuple, comme d’autres ont aussi fait sur ce dernier.
Même si Apulée avait enclenché la littérature en prose, le « roman », puisqu’avant lui la littérature était nourrie de textes dramatiques, des poèmes et des contes, l’histoire des Imazighen n’a pas rapporté des noms d’autres auteurs ayant continué sur le chemin de ce genre littéraire, excepté la poésie et les contes, et leurs riches qualificatifs. Le prof. Kamal Bouamara a écrit que « Jusqu’à récemment, seuls des poèmes étaient sujet à d’écriture en kabyle. Quant à la prose, malgré le corpus divers de la littérature, excepté Belaid At Ali auteur des textes des années 1940 (publiés dans les Cahiers de Belaid chez FDB, 1963), les Kabyles n’ont investi le texte en prose que dans les années 1970 »[1]. D’ailleurs, on n’y retrouve pas de prose proprement dite dans les textes recueillis par B. Bensedira (1887), A-S Boulifa (1904 à 1913), les Pères-blancs (sauf dans les cahiers de Belaid At Ali) ou dans les « Poèmes kabyles anciens » de Mouloud M. (1980) ; ces textes sont des récits, des contes ou des poèmes. Je n’y ai pas lu d’essai ou une quelconque fiction qui aboutirait à la forme de la nouvelle qu’on connaît aujourd’hui.
Cependant, depuis tous ceux-là, en plus de la prise de conscience de l’importance de leur littérature, des lettrés ont été initiés à la littérature contemporaine des autres peuples, dont le roman et la nouvelle. Grâce à la démocratisation du livre et l’entrée dans le monde de la communication, l’écriture et la lecture, le peuple amazigh s’est frayé un chemin dans la littérature usuelle : les lettres, les normes, la compréhension de la littérature et sa critique, … En général, dès les années 1950, l’Amazigh a appris et pratiqué la composition du roman et de la nouvelle dans les langues usuelles ; la colonisation lui permis d’écrire en français et depuis l’indépendance, il a aussi écrit en arabe. Ce sont « les années 1970 » qui lui ont fait prendre conscience de l’écriture en kabyle, laquelle écriture a amené à l’écriture en parlers chaouia et mozabite.
Grosso modo, « … la nouvelle littéraire, tous peuvent l’aborder. Ce n’est pas parce qu’elle est courte, donc une écriture aisée, ou parce qu’elle n’est pas aussi importante que le roman. Il suffit d’un brin d’initiation et de persévérance, et d’un peu de patience et d’amour de l’écriture, des nouvelles peuvent surgirent, et des bonnes, et des plus intéressantes autant que les romans »1. Le monde littéraire a défini ce genre de prose par « nouvelle » depuis le Moyen-âge. Elle a été propagée, avec de nouveaux qualificatifs, dans toute l’Europe au XIXe siècle, principalement en Russie, en Italie, au Royaume-Uni et ne France. La nouvelle s’est alors forgé une place parmi l’anecdote, le récit et l’essai : elle y décrit la réalité, la fiction et la création. Jusqu’à présent, la nouvelle se métamorphose, grandit et avance dans le monde littéraire. Elle s’approprie des couleurs et des outils de composition au point où elle n’arrive pas à figer ses concepts ; cette dernière est peut-être la raison pour laquelle certains auteurs l’évitent. Ceci m’amène à dire que, en réalité, l’envie d’écrire et la culture seules ne déterminent aucunement la qualité des textes. Mais la multitude des lectures de textes, l’apprentissage des techniques, la pratique de la prose, les points de vue des connaisseurs et des lecteurs, seuls, améliorent la qualité littéraire. Quiconque néglige une astuce ou un outil d’amélioration rate sa performance, ainsi va la littérature, la musique, la science, …
Ceci m’amène au concours de la nouvelle littéraire Belaid At Ali organisé par la Fondation Tiregwa, que je remercie pour m’avoir permis d’accéder aux nouvelles du concours. Depuis des années, je suivais avec attention les résultats de ce dernier, la qualité de la composition et le niveau atteint. Ceux-là variaient évidemment d’une édition à l’autre. Chacune dépendait des participants, des sujets abordés, des vécus des uns et des autres, de leurs connaissances accumulées, de leurs expériences en littérature et de leur fréquentation des concours littéraires. J’espère que des chercheurs puissent se pencher sur l’évolution de ce genre littéraire et ses auteurs pour en déceler la(les) tendance(s).
De prime abord, les participants doivent prêter attention à distinguer la nouvelle littéraire du conte, du récit, de l’essai et de la dissertation. La nouvelle peut puiser dans ses derniers quelques brins d’idées, mais pas la totalité. Sachant qu’ils rentrent tous sous le qualificatif de « prose », chacun constitue un sous-genre avec ses propres critères. Chaque genre est sujet de sa structure et de stratégies. Chaque édition consacre alors les meilleures nouvelles littéraires, des prix sont octroyés à leurs auteurs. Cependant, une bonne moitié est de qualité moyenne. Ceci n’est pas une critique ou un reproche envers ses auteurs, et point pour amoindrir leurs efforts : en littérature en général, voir plus haut, « la nouvelle se métamorphose, … elle n’arrive pas à figer ses concepts ».
À mon sens, ainsi va le niveau des nouvelles littéraires que j’ai lues ; loin de moi de m’ingérer, ici, dans le thème et les idées développés à proprement parler, chaque auteur en est libre.
Les raisons qui les qualifient de moyennes sont nombreuses. Pour ma part, chaque nouvelle littéraire décrypte le niveau littéraire de son auteur : de qui maîtrise l’agencement et l’encadrement des idées, de qui excelle dans l’usage de la grammaire et la syntaxe, de qui lit des nouvelles et leurs critiques, de qui est initié aux stratégies de la prose, de qui recherche le vocable adéquat à une idée, … Aspirer écrire n’en est que le seuil de la démarche qui permet l’accès… Toute stratégie d’écriture exige une norme.
À titre d’exemples, les auteurs doivent distinguer les subtilités de sens entre « ggal », « ggal s », « ggal ɣef/fell- » et « ggal deg/di » ; ainsi que entre « sked », « wali », « xẓer », « muqel », « ṛmeq », « ger tamawt », « ani », … Un autre, le narrateur, s’il ne fait pas partie des évènements de la nouvelle, ne doit pas user dans ses propos les particules verbales « -d » neɣ « -n », connue sous le nom de particules de direction, sauf si le contexte l’exige. J’y avais noté des situations de calque linguistique, comme dans « yal akud », « deg yiwen waddad / yettemɣumbas waddad n tegnewt / deg yir addad », « assaɣ n uḥettem », « tugett n tikwal »,… J’avais noté la nécessité d’une intelligence dans les séquences des idées à faire cheminer au lecteur, comme leur répartition en paragraphes, l’alternance des propos du narrateur et des acteurs et la ponctuation adéquate… J’avais lu dans une nouvelle un paragraphe, long de plus de cinquante mots, il ne comportait qu’un point, le point final.
Dans les trois dernières éditions de la Fondation Tiregwa, cette remarque s’adresse aux auteurs et autrices, certaines notes des critères d’évaluation ont atteint 4-4,5 points sur 5. Pour la qualité soit de la langue, soit la grammaire, soit pour la suite et les idées, soit pour la présentation, … c’est excellent ! Par contre, dans le cas des autres critères, les textes comportent plus ou moins des manquements. J’avais tant aimé recevoir aussi les résultats du concours de la nouvelle littéraire organisé par l’association culturelle Adrar-n-fad, afin de les comparer.
Je suis certain que notre nouvelle littéraire, comme le roman et tous les arts, recèle de particularités sur l’auteur, sa génération et son environnement littéraires, qui seront tant de sujets de recherches et d’investigation. Chacun et chacune des auteurs connaissent leurs compétences en écriture et sont aussi capables d’y voir leurs inaptitudes. Présentement, pour qui voudrait apprendre, nous disposons d’enseignants des langues et des littératures, d’accès aux capsules de leçons, de multiples auteurs et leurs ouvrages, d’émissions littéraires, de l’internet, … et aussi accès à l’intelligence artificielle : celle-ci a des réponses à tous les sujets !
Afin que la nouvelle littéraire puisse s’améliorer, nos écrivain(e)s doivent sortir de la « grammaire de base » : nom, verbe, adverbes et particules. Qu’ils investissent dans les fonctions des mots et leurs compléments, la syntaxe qui permet la phrase simple et la phrase complexe. Dans la nouvelle, les idées sont soumises à un agencement et une logique de la ponctuation, signes d’encadrement, qui les éclaircissent, qui leur donnent un sens, qui les décortiquent pour le lecteur. À prendre en considération par nos auteurs : le lecteur tente toujours de créer un plaisir de lire que procurent les idées claires et la bonne présentation du texte, tels que le titre, les marges gauche et droite, les paragraphes et les dialogues distincts, le narrateur, …
Nos auteurs ont aussi besoin de classes de formation en stratégies et en techniques d’écriture, pas que des ateliers. Qui ressembleraient un peu aux fils d’une guitare : chaque fil sa note et son vibration à offrir à l’autre. Pour parfaire une chanson, ces fils doivent se distinguer, s’agencer et se compléter.
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[1] Introduction in “Tisurifin ɣer tira n tullist”, tiẓrigin Tamagit 2020).
Nnaser Uqemmum