Akli Ait Boussad vient de publier Iḍ aɣezfan chez les Éditions Imtidad. Ce recueil de 46 poèmes se décline en trois sections : Tibratin (7 poèmes), Ccma (11 poèmes) et Ass ajdid (28 poèmes). Les sous-titres portent en leurs larges sémantismes les contours thématiques des textes insérés dans chaque section.

À la lecture des 46 textes, on ne peut rester indifférent à la danse des mots quand ils font vagues, quand ils entrent dans la transe du mouvement rythmé qui ne se gêne pas à outrepasser les mesures traditionnelles. Les poèmes semblent être des espaces où la parole du Sujet qui parle est destinée à des personnes particulières. Il paraît que le poète lui attribue une fonction interpellatrice notamment dans les deux premières sections, qui tantôt rappelle au destinataire les vérités tues ou oubliées, tantôt l’invite à écouter les confessions d’une âme en peine (voir les 11 textes de la seconde section), tantôt lui prodigue des recommandations tel le glissement d’un terrain qui dévie le sentier. Les textes de la dernière section portent cela d’une manière tendancielle. Une poésie, en somme, qui se veut volontairement révélatrice, engageante et interpellatrice. Les interpellations se font non sans questionnements et, malgré la peine et le sentiment de souffrance, avec compassion. Parfois, le reproche et les mises au point s’invitent dans ce face à face entre l’énonciateur (Nekk) et son énonciataire (Kečč mais notamment Kem et par moments Netta/Nettat).

Des paroles et phrases simples, faites de mots de toute la tribu, mais tissées de fils fins et discrets engendrant des idées fortes dont la profondeur est portée par la solidarité harmonieuse des syllabes orchestrées en cadences de sens et la voix qui les murmure dans l’acte de la lecture. La voix du poète, qui met en scène ses performances, est déjà sens.

Avec la simplicité des mots en appel, un écho de profondeur et de beauté est accouché par leur textualité. Paroles simples mais hautement agitées par les rythmes qui leur donnent souffle et mouvement. Telles de grandes vagues finissant sur la plage le mouvement entamé dans les houles. Dans les poèmes ou les strophes, les vers ne suivent généralement pas une cadence régulière, ils suivent l’instinct des rythmes dont l’ondulation est le principe de vie.

Je vois le poème d’Akli Ait Boussad comme une scène ; ses paroles sont ses personnages, les rythmes qui les portent son narratif dont la déclinaison oscille entre deux mouvements distincts. Un mouvement rapide, vif et orienté vers le moment présent et un mouvement plus long, plus lent et plus triste rappelant les souvenirs constituant les tatouages d’un passé pas trop loin. Une bonne partie des poèmes d’Akli est le théâtre où se jouent ces deux mouvements à rythmes variables.

Dans ce recueil, Akli Ait Boussad a osé l’expression qui valorise les moments de plaisir même s’ils sont traversés parfois par l’incompréhension et la séparation. Il a aussi osé l’expression qui célèbre « l’Autre » sans dénigrer le « Moi ». En fait, beaucoup de textes signifient que la célébration par exemple de la bien-aimée (Kemmini) n’empêche nullement l’éclosion de l’être aimant (Nekkini) et généralement vice versa. Aussi, dans ses vers, Akli Ait Boussad a mis l’audace de l’adulte accompli mais enrobée dans la pudeur enfantine. Cette audace et cette pudeur sont agréablement portées par les mots de tous les jours et transformées en (en)jeux poétiques.