« Ikker-d weqcic d amencuf (et arrive un enfant turbulent) », chante Idir en faisant allusion à Matoub. Le qualificatif d’amencuf cerne affectueusement le tempérament tout feu tout flamme du barde. D amencuf, c’est l’Être et le poète. La dissociation est impensable : Matoub est un argaz entier.

Bambin, il était déjà cette petite boule de feu qui secouerait tout Ath Dwala, l’humus qui allait forger Lwennas, lui faire prendre de l’épaisseur et en faire un orage qui ne se gênerait pas d’exploser au visage de la bêtise pour que les bâillons s’effondrent.

Sa rage de vivre, son identité, sa culture, ses amours, ses libertés ensemenceront son parcours explosif et insaisissable. Et c’est toute une région qui se reconnaîtra dans cette rage et cette détermination à « ad yezwir i imeɣban skud brarḥent wallen-is (être aux postes avancés, tant qu’il est de ce monde) ». Et ce n’était pas un awal vain ! Il ne s’agissait pas d’un fragment d’énoncé intercalé entre deux vers pour assurer la rythmique de l’unité métrique du asefru. C’était même plus géant qu’un asefru. C’était une promesse, un engagement à l’indienne, un engagement de sang… un jmaε liman scellé et non négociable.
Lwennas n’est pas de ces poétereaux, ces rimeurs qui, sur commande, nous servent du nationalisme circonstanciel. À ce nationalisme ringard, le poète préfère le patriotisme sincère. « Je me sens patriote de toutes les patries opprimées », disait-il.
Oui, Matoub est un diseur qui ne cesse, même après sa mort, de torpiller haut et bas.
Matoub est un verbe cru qui dit et agit à la fois. Un verbe limpide, ne s’accommodant d’aucune ambiguïté et, encore moins, d’aucun politiquement correct. L’électron libre qu’il était mettait mal à l’aise ses « amis » de l’opposition. L’on se souvient tous de ce plateau de France 2 où Matoub assénait à une journaliste algérienne, Boussouf en l’occurrence : « On ne vous connaît pas ! Où étiez-vous ? » Khalida Messaoudi, alors personnage important du RCD, tentait tant bien que mal de calmer les esprits avec ces : « En fait, ce que Matoub voulait dire… »
Ainsi, même si, selon Sartre, « l’engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature », Matoub ne s’encombre pas du bel esprit bibliographique. Il ne s’encombre pas, ô que non !, du politiquement correct pour dire les « ay agujil n wawal ! » et autre « ah ya Si Lhusin ! »
Dans Pouvoir assassin, Oulehlou implorait le verbe de Lwennas qu’il suppliait « ad aɣ-tt-id yeqqed seg uzekka (de venir au secours d’une Kabylie meurtrie, depuis l’outre-tombe) ». Les vers d’Oulehlou scrutaient la Kabylie des vivants en quête d’un Homme-symbole à même de mobiliser autour de l’idéal séculaire ur nettnuzu, ur irehen (qu’on ne peut ni vendre ni hypothéquer). Il ne trouvera personne. Qu’importe : Matoub est toujours de ce monde.


T. Ould Amar

Matoub, qui en fait ne nous a jamais quittés, est encore plus présent cette semaine. Ce texte que je reprends pour Tangalt a été signé en juin 2009.