Matoub Lounès.
Un nom trop lourd pour les bouches pleines de silence. Un nom qui dérange, qui gratte la gorge des hypocrites, qui donne des ulcères aux apôtres de l’ordre. Il n’était ni prophète ni patriote de pacotille. Il était pire : un homme libre. Et ça, dans ce pays, c’est plus dangereux qu’une kalachnikov chargée.

Il chantait faux pour ceux qui vivent dans le mensonge. Il insultait les dieux qu’on nous impose, les drapeaux qu’on nous vend, les hymnes qu’on nous crie à coups de matraques. Il pissait sur l’unanimité comme un chien sur une mosquée et une église à la fois. Il hurlait : « je suis athée mais je crois en l’homme », et ça suffisait à déclencher des fatwas, des balles, des trahisons. Il n’était pas politiquement correct — il était humainement nécessaire.

Aujourd’hui, 27 ans après. Ils lui ont tiré dessus 7 fois, ils lui tirent encore dessus tous les jours, avec l’oubli, avec les faux-hommages sponsorisés par des institutions qui l’auraient fusillé de son vivant. Ils parlent de lui comme d’un « poète engagé », alors qu’il était un terroriste de la parole, un contrebandier de la vérité, un bandit de l’espoir.

Ils ont vidé sa mémoire pour en faire un monument inoffensif. Une photo sur un T-shirt, un nom de rue, un slogan électoral. Mais Matoub n’était pas un logo. Matoub était un cri, un crachat, une claque à la gueule des convenances.

Il n’était pas le produit d’un parti. Il était la fin de tous les partis. Il ne portait pas la cravate. Il portait les cicatrices de son peuple. Il n’était pas un politicien : il était un prophète à voix cassée, un résistant qui chantait plus fort que les bombes, un incendie dans un pays qui adore les pompiers pyromanes.

Matoub, c’est notre malédiction et notre salut. Car tant qu’on se souvient de lui, alors il est encore possible d’être un homme, un vrai, pas un perroquet en costume, pas un vendu qui lève le poing un jour et le baisse le lendemain.

Matoub, c’est la dernière gifle avant la soumission. C’est le « non » qui vibre dans nos gènes. C’est le feu que les lâches ne veulent plus porter, par peur de se brûler en rêvant.

Alors non, il n’est pas mort. Il est là, dans chaque gamin qui dit « non » sans trembler. Dans chaque femme qui refuse l’effacement. Dans chaque poème qui dit la vérité sans demander la permission.

Matoub Lounès. Le seul président que j’aie jamais reconnu. Il n’a jamais gouverné, mais il a régné sur nos consciences. Et moi, fils de la Kabylie et de ses douleurs, je le jure sur sa guitare et sur son sang :

Pour ma génération, il n’y avait pas d’autre religion que la Kabylie. Et Matoub… Matoub en était le prophète. Pas un prophète de miracles, mais un prophète de lucidité. Un prophète qui saignait, et qui, dans chaque goutte de sang, écrivait nos vérités.

Guerbi Rachid