Sous le thème « L’amour au creux du patrimoine : entre ce qu’on ressent et ce que l’on exprime », Montréal a abrité, au Patro Villery, du 29 au 31 août 2025, la première édition du Festival de l’Écomusée Algérie (ÉDA). Pendant trois jours, artefacts, musiques traditionnelles et saveurs authentiques ont transporté les visiteurs dans un voyage sensoriel à travers le patrimoine algérien, réveillant souvenirs et émotions.
Lors de la première soirée, l’assistance s’est vue offrir près de deux heures d’évasion par le groupe chaâbi Nesraf, un groupe de musique fondé en 2015 par des musiciens passionnés portant en eux un héritage rythmique et mélodique de la musique chaâbi et andalouse. Par « Nesraf », l’ÉDA donne le coup d’envoi de cette édition. Un pan classique du patrimoine, autant le malouf, le melhoune et le badoui, mérite des écoles de promotion et de création.
Messieurs A. Khouas (psychologue et essayiste), A. Ait Toudert (écrivain et poète) et Mohand Soulali (médecin en psychiatrie et psychothérapie) ont, au deuxième jour, rendu hommage au chantre Cheikh El-Hasnaoui, de son vrai nom Mohamed Khelouat, né le 23 juillet 1910 à Taâzibt (Ihesnawen – Tizi Ouzou). Cheikh El-Hasnaoui demeure la « voix mythique de la chanson de l’exil ». Ils ont enchanté et guidé l’assistance à travers le thème de « L’expression de l’amour dans ses œuvres ». Ils ont exposé des points de vue croisés à la lumière de leurs disciplines respectives. Leurs approches extra-littéraires et extra-linguistiques, en dehors des études classiques, ont conféré à la conférence un caractère scientifique. C’était tout un voyage… ravivant des souvenirs d’enfance chez certains et suscitant de plus en plus d’interrogations sur chaque vers de sa poésie et sur chaque note de sa mandoline aujourd’hui tue. Non loin de cette ambiance, s’en est suivie une lecture de poèmes, des plus récents et divers, par M. A. Khouas et Mme N. Azzoug.
La conférencière K. Ouazar a, au troisième jour, mis en lumière l’histoire des tatouages de Kabylie principalement. Elle l’a ponctuée par le rappel de certaines théories et interprétations de ces manifestations, frappées du sceau « privé ». La conférence s’est plutôt enrichie dans les échanges avec l’assistance.
Les temps forts cinématographiques de l’ÉDA ont mis à l’honneur deux productions distantes de près de quarante années. En exclusivité, l’auditorium a résonné aux musiques et aux voix de la projection du film « Fouroulou » réalisé par Ali Berkennou (2024), version kabyle adaptée de l’œuvre de Mouloud Feraoun « Le fils du pauvre » (Éd. Cahiers du nouvel humanisme, 1950). Le second film est une invitation au voyage à travers « Le passager », en arabe dialectal, réalisé par R. Bouberras (1987). Chacun a rapporté le vécu d’une époque mesurable et une histoire partagée par nos concitoyens. Par comparaison, chacun des deux films est tributaire des moyens mis en œuvre pour sa réalisation, mais aussi des péripéties de son temps. Au regard des consommateurs, y compris dans les grandes maisons d’édition, les scènes de la vie ou de la fiction scénarisées sont des projections biaisées, truffées de coquilles ou maquillées pour se rapprocher du réel.
Les deux projections ont, cependant, suscité de riches échanges avec les réalisateurs, tant sur le plan technique que sur le plan scénaristique et la formation des acteurs.
Parmi les obstacles de la production cinématographique, dans le cas des films en arabe dialectal, on a mentionné le registre linguistique des scénarios en question vacillant de la langue vernaculaire et populaire à la langue soignée et purifiée, quelquefois à la limite de la langue scolaire. La première est plus proche du vécu des spectateurs, car plus naturelle et vivante, et le registre de la langue possède une aura la mieux adaptée à toucher, voire à provoquer, l’affectif du spectateur ; autant les films du registre de la langue citadine et soignée s’éloignent des réalités linguistiques vécues, autant la production crée une distance avec le spectateur national.
Cependant, le public général a bien accueilli et apprécié « Inspecteur Tahar et l’apprenti », « Années de braises », « Lhadj Lekhdar », « Carnaval fi dechra », « Achour l’âcher », « R-rbaâa »… parce que simplement ils s’identifiaient à la langue des scénarios et aux scènes développées. La diversité et le conglomérat des spécificités locales dans une même production sonnent faux et crédibilisent moins le thème développé. Celle-ci, épurée des subtilités langagières, semble artificielle et incongrue. Entre parenthèses, cette remarque rappelle le même phénomène dans la chanson des années 70 dont les textes étaient en arabe scolaire… pas un grand succès depuis, car elle n’était pas naturelle.
Quant à la production de films en tamazight, elle en est à ses balbutiements, elle a encore du chemin à faire pour s’approprier les dernières techniques et se parfaire, sinon de l’extérieur elle vit les mêmes conditions. On peut citer : « Tawrirt yettwattun », « Adrar n Baya », « Tala n yiẓuran », « Ilan n tmeddurt »…
Le décalage est dû au manque de formation scénaristique de perfectionnement, à la distance entre les productions et à l’absence de critique cinématographique, en plus du défaut d’un réseau de promotion intensive. Aussi, moins le texte est contemporain, plus il est difficile de s’octroyer des décors et des arrière-plans adéquats et construits, autant pour les costumes. Souvent, la préservation des lieux de tournage et des patrimoines de films, privés ou circonstanciels d’une production, est d’une importance capitale. Les décors de films semblent éphémères, alors qu’ils devraient être sujets à pérennité, au pire finir dans un musée.
Nnaser Uqemmum