La négativité n’est en aucun cas une position critique car elle constitue une posture qui nie la réalité, soit par méconnaissance de celle-ci, voire par ignorance, soit par mépris ou encore par aveuglement idéologique ; elle ne rend service ni à la littérature ni à celui qui la manifeste.
Concernant la littérature kabyle, plus généralement amazighe, trois variantes de négativité sont exprimées. La position la plus radicale prend racine dans le mépris qu’affichent certains à l’égard des auteurs et des textes, tous genres confondus ; ils considèrent que la qualité littéraire ne peut être assurée que par une langue de prestige. Or pour eux, le kabyle est une petite langue orale dont le passage à l’écriture en est dans sa phase initiale. Tout en reconnaissant à demi-mot qu’ils ne sont ni lecteurs dans cette langue ni fins connaisseurs de ses expressions littéraires, ces gens croient que le statut politique et socioéconomique de la langue est l’unique garant de la valeur littéraire. Traversée et travaillée par la haine de soi, cette négativité est généralement portée par un personnel instruit et occupant des positions sociales élevées.
La seconde variante de la négativité repose sur une posture qui compare systématiquement la littérature kabyle à d’autres littératures institutionnellement plus soutenues. Ceux et celles qui observent cette posture passent sous silence, volontairement ou pas, les conditions sociopolitiques et institutionnelles dans lesquelles évolue la littérature kabyle. Inconsciemment ou pas, ils soutiennent que cette dernière doit impérativement mimer les littératures plus prestigieuses avec lesquelles elle partage l’espace.
La troisième variante de la posture basée sur la négativité considère que la littérature kabyle est de mauvaise qualité en érigeant le manque de visibilité de cette dernière en critère d’évaluation de la valeur littéraire. Les tenants de cette posture se basent parfois sur une expérience de lecture décevante. Ils généralisent leur déception sur toute la littérature, sur tous ses agents et toutes leurs pratiques sans chercher à prendre en compte ni l’écriture et les pièges institutionnels (les prix littéraires par exemple), ni l’évolution fulgurante et remarquable opérée ces derniers temps aussi bien en termes de création qu’en termes de conquêtes institutionnalisantes, dont une bonne partie relève d’une stratégie de contournement.
Bien évidemment, ces trois variantes de cette posture basée essentiellement sur le mépris et la méconnaissance de la réalité littéraire s’intègrent sur le plan littéraire et sur celui d’une opinion sûre d’elle-même.
Mohand Akli Salhi