Oui, c’est bien le titre que je souhaite donner à ce texte. Chuchotements romanesques kabyles. Je préfère, sans hésitation aucune et pour ainsi dire à desseins, ce terme de chuchotement car les voix qui les assurent sont tellement basses qu’elles sont à peine audibles. Et pourtant, elles font tout pour se faire entendre dans un théâtre ou les meilleures places de la scène sont prises comme chasse gardée. Je préfère également le terme romanesque à celui de roman.

La question de la définition du genre, ou plus justement de généricité, se poserait autrement que par référence à une tradition ou un à positionnement théorique, voire même dogmatique. Il y a bien des oreilles qui font l’effort d’entendre ces chuchotements. Il y a bien des oreilles qui ne les entendent pas. Ces voix s’entrecroisent avec d’autres plus audibles ou simplement plus favorisées soit par les vicissitudes de l’Histoire soit par la volonté (injuste) d’un choix.

Ces chuchotements romanesques sont, entre autres, dans la diversité des énonciations narratives et les postures changeantes et poétiquement bien agencées des narrateurs dans Lwali n udrar. Ils sont dans la polyphonie engendrant la profondeur du regard narratif qui remonte le temps pour puiser, via l’humour, l’ironie et probablement la parodie, dans la tradition orale récits et croyances à méditer.

Ces chuchotements romanesques sont, entre autres, dans ce mouvement douloureux d’introspection de Mohand dans Asfel. Mouvement voulu comme cheminement vers soi-même afin de mettre à nu les conditions de la décomposition identitaire. Ils sont aussi dans l’ambiguïté sentimentale de Ɛmer envers Jacqueline et Ferruǧa et dans le difficile rapprochement entre les rives de la Méditerranée. Car, en fait, au lieu d’être un trait d’union, cette dernière est plutôt mer anthropophage.

Ces chuchotements romanesques sont, entre autres,  dans cette narration racontant les origines du chaos contemporain, oralisée, par la voix de Meẓyan, pour se rapprocher des récepteurs attentifs, à la manière des les contes traditionnels qui suspendent l’intérêt des enfants à la voix narratrice de la conteuse.  Ils sont également dans la volonté de marquer l’Histoire par un travail de témoignage et d’écriture. Le Docteur Aberkan en savait quelque chose. Malha aussi. Et ce n’est pas Said Sadi qui dira le contraire ; lui qui noircit la blancheur des feuilles par ses analyses et ses mémoires.

Ces chuchotements romanesques sont nombreux dans les écrits romanesques d’Amar Mezdad. Ils sont dans la proximité entre les titres et les temps des histoires racontées. L’univers romanesque de ce romancier repose, agréablement, sur cette proximité. Les digressions y sont une valeur stylistique certaine. Le discours et l’histoire cohabitent et se complètent pour former un continuum où le contemporain et l’historique s’interpénètrent, où la modernité se dispute avec la tradition et où l’identité et l’altérité font reflets dans le même miroir. Chuchotement romanesques agréables, d’autant plus que les personnages (Muḥend Ameẓyan, Lxuni, Malḥa, Salem, Rabah, Weɛli, Ṭawes, Meẓyan, Saɛid, Utudert, Dr Legziri, Neǧma, Sliman, Ɣilas, Frawsa et bien d’autres) participent à une saga romancée de générations faisant écho à la chronologie sociale depuis les années quarante à ce jour fatidique de printemps où le Cri de Munch prépare le lecteur à l’explosion d’une balle assassine.

Doit-on faire semblant de ne pas entendre ces chuchotements ou de les laisser sombrer dans le silence es lettres ? Pourtant, ils sont la voix, même très basse, d’univers profondément humains. C’est vrai que cette voix est à la lisière de l’Histoire où dominent les repères matériels (l’écriture est bien une trace archéologique essentielle à l’attestation de la vie historique), mais cela n’autorise aucunement à la faire taire soit par une partition imposée soit par un quelconque subterfuge intellectuel (qui cache mal un malaise).

Ecoutons d’abord ces chuchotements romanesques, puis voyons dans leur rencontre le dialogue entre l’oralité et l’écriture. Car se limiter à dire que le roman est un emprunt à l’occident n’explique pas grand-chose. Au lieu d’accorder la préséance au nouveau plant, regardons un  peu la terre dans laquelle il sera planté. Et si cette terre est accueillante et fertile ?

Mohand Akli SALHI
(À suivre)