À At Cebla, dans la commune d’At Tudert en Haute-Kabylie, vit une dynamique culturelle que l’on ne soupçonnerait pas dans un endroit en apparence perdu dans le temps et l’espace et, donc, mal loti en matière d’infrastructures culturelles (voire, infrastructures tout court) et de… rentrées financières. Pourtant, au grand bonheur de la culture vécue, le village a pérennisé une bonne dizaine d’activités qui rendraient verts de jalousie les plus nantis parmi les chefs-lieux de wilayas. Ceci est rendu possible grâce à l’inclination des villageois et à la détermination des animateurs de l’association Tanekra dont les infatigables Hacène Kashi et Kebci Mohamed, journaliste et non moins SG de Tanekra. Nous avons rencontré ce dernier qui, soulignons-le au passage, fait partie des aventures L’hebdo n Tmurt et Tiɣremt. Il nous parle de la culture à At Cebla.
Vous ne loupez quasiment aucun week-end, encore moins un congé, pour vous rendre à At Cebla, votre village, et mettre la main à la pate…culturelle. Où « le pas loin de la retraire » que vous êtes puise cette énergie ?
Il est vrai que pratiquement, chaque week-end, je me rends au village par besoin pressent de me ressourcer et de recharger les accus, l’ambiance de la ville que je ne supporte pas et le métier de journaliste que j’exercice avec ses aléas innombrables y sont pour beaucoup. Mais pas que cela puisque mon engament au sein de l’association culturelle de mon village natal m’obligent à m’y rendre régulièrement pour accomplir ma part de contribution. Pour vous le dire crûment, je ne me sens dans ma peau qu’en me mettant au service des autres, notamment en matière culturelle. L’action culturelle fait partie intégrante de mon ADN et constitue mon oxygène qui me permet de sentir la vie à pleins poumons.
At Cebla est l’un des villages de la région de Ouacif qui connait une dynamique culturelle continue non circonstancielle et qui, surtout, fait mouche. Pourtant, ce village de la haute Kabylie est mal loti en matière d’infrastructures culturelle et ne bénéficie pas de deniers publics. Comment y arrivez-vous ?
Ce que vous dites est tristement vrai en matière de structures d’accueil du mouvement associatif. Mais, nous concernant, nous avons la chance de nous abriter dans une partie du nouveau foyer des jeunes du village au sein duquel nous accomplissons nombre de nos activités. Pour ce qui est de l’argent, ce nerf de la guerre comme on dit, nous n’avons compté au tout début que sur nos propres ressources, celles de nos adhérents. Mais avec le temps, nous avons pu arracher des subventions quoique relativement dérisoires de l’APW de Tizi-Ouzou relativement à notre plan de charge. Un programme à la fois dense et consistant que nous n’accomplissons que grâce à l’étroite collaboration d’un tissus de partenaires qui, intéressés par la qualité et le rythme de nos activités, nous accompagnent. Dois-je avouer que nous enregistrons à chaque fois un nouveau partenaire au fur et à mesure que nous avançons dans notre programme.
Après la désormais traditionnelle dictée et le concours de lecture en tamazight et le mini Racont’Art, vous avez lancé « l’atelier de littérature ». Expliquez-nous cet « Atelier de littérature ». Comment avait-il été accueilli ?
Effectivement, dans notre programme d’action, nous avons privilégié les actions structurantes qui déclinent en quelque sorte notre ligne éditoriale qui fait de la sauvegarde et de la promotion de tamazight, sous toutes ses facettes (langue, culture, us, patrimoine, etc.) notre fil conducteur. Dans ce cadre, nous avons institué depuis deux ans, deux prix, celui de Mouloud Mammeri dédié à la lecture en tamazight et celui de Bélaïd At-Ali dédié à la dictée en tamazight. Tout récemment, nous avons lancé l’atelier Si Amer Boulifa exclusivement dédié à la littérature amazighe. Cet atelier, coordonné par Hacène Kashi, un membre de l’association et féru de la littérature amazighe, consiste à inviter cycliquement un(e) auteur(e) en langue amazighe, un écrivain ou enseignant en langue amazighe pour des sessions de lecture suivie et dirigée et de dictée en tamazight au bénéfice notamment d’enfants du village. Pour l’accueil réservé à cet atelier, disons que pour son lancement à l’occasion duquel nous avions convié l’écrivaine et enseignante Zohra Aoudia, ce fut relativement une réussite. Ceci dit, nous sommes appelés à améliorer ces trois activités littéraires sur tous les plans en étroite collaboration avec des connaisseurs dans le but de leur conférer le rang qui leur sied, surtout qu’ils portent les noms de piliers du long parcours de sauvegarde de notre chère langue. Concernant, par exemple, les prix de lecture et de dictée, nous avons lancé la réflexion en vue de leur conférer une stature à la hauteur des noms qu’ils portent, en prospectant, notamment, des partenaires à même de nous accompagner et de nous orienter.
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Il a été question d’un colloque national sur la toponymie. Où en est le projet ?
Effectivement, nous avons lancé, l’année dernière, l’idée d’un colloque national sur la toponymie. Nous y sommes toujours, sauf que le rythme d’activités que nous avons eu ces derniers temps ne nous a pas permis de trouver le temps de le concrétiser. Aussi, préalablement à ce colloque, nous sommes en cours de préparation d’une vaste campagne d’installation de plaques nominatives de lieux-dits au village. Il s’agit, en fait, d’une reprise d’un projet que j’ai entamé personnellement en 2011 et que nous avons repris au sein de TANEKRA en vue de l’améliorer et surtout de le généraliser et de lui dédier une activité scientifique du rang d’un colloque que nous envisageons donc de tenir prochainement.
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Beaucoup estiment que la chose culturelle est en déperdition. Quel est l’avis du journaliste que vous êtes ?
Je me contenterai de partager ce constat malheureux et navrant à la fois.
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Vous étiez sur un projet de martyrologie. Vous avez d’ailleurs tenu en haleine vous amis faceboolistes en publiant périodiquement sur votre page le parcours d’un Martyr de At Cebla. Bientôt l’édition ?
Il s’agit, en fait, de la reprise d’un vieux projet engagé du temps de notre défunte association culturelle Tarwa n Kweryet. Un chantier à valeur de défi pour m’avoir pris moins d’une année puisqu’à son lancement en septembre 2022 avec la publication hebdomadaire, chaque mercredi soir, d’un portrait, je n’avais finalisé que sept portraits sur les 119 de nos martyrs (110 de la guerre de libération nationale et 9 de la décennie noire du terrorisme islamiste). Le long de la semaine, je prenais des rendez-vous avec des gens et à la fin de la semaine, je partais à leur rencontre pour des témoignages et ce, parallèlement au décryptage, au recoupement et à la rédaction de ceux récoltés la semaine d’avant. Un travail exaltant qui m’a permis de discuter et de partager des moments inoubliables avec des vieux et des vieilles ayant eu à vivre dans leur chair la longue nuit coloniale. Je n’oublierai jamais les récits donnant froid dans le dos que m’ont livrés certains de mes interlocuteurs, notamment ceux de feue LANNAK Sekoura qui a subi les pires tortures de la soldatesque coloniale et qui a vu mourir de torture sa mère dans ses propres bras dans une minuscule cellule au camp militaire du village. Le projet est toujours en cours avec des correctifs régulièrement apportés au gré de nouveaux éléments. Aussi, et parallèlement à ce travail, nous avons instauré « Ussan n tekwayt » ou les journées de la mémoire avec, chaque année, une thématique. Pour cette année, par exemple, nous avons tenu à honorer les douze veuves de martyrs du village encore en vie. Nous avons également entamé le projet d’installation de plaques commémoratives à divers endroits où une quarantaine de villageois et de villageoises ont été froidement assassinés par les soldats français.
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Tangalt vous propose l’espace « la non question ». Noircissez-le comme vous l’entendez.
Je tiens à préciser que sans l’implication de nombre de nos concitoyens du village, notamment de jeunes filles et garçons mais également de citoyens-mécènes qui nous accompagnent en mettant la main à la poche, nous n’aurions jamais pu mettre en œuvre notre plan d’action. Une feuille de route que nous comptons structurer tout prochainement autour d’événements pérennes constitués des activités structurantes déjà citées et d’autres en cours de réflexion. C’est une sorte « d’agenda annuel » qui nous permettra de mieux préparer ces événements à la lumière des lacunes relevées jusqu’ici. Enfin, je n’oublierai pas de relever que je suis un lecteur assidu de votre revue et je dois avouer que c’est grâce à elle que je me perfectionne de plus en plus dans la lecture en tamazight. Bon courage à toute l’équipe avec l’espoir de la voir plus lue et mieux adoptée.
Entretien réalisé par Tahar Ould Amar