L’écrivaine Zohra Aoudia, après le succès de son premier roman intitulé Tiziri, édité chez les éditions Achab, se confirme, cette fois-ci, en ce nouvel an amazigh, par un autre roman au titre à la fois tabou et provocateur, Tadist yettwaneεlen, aux éditions Imtidad. Ce dernier roman est préfacé par Said Chemakh, professeur de la littérature amazighe et méritant militant grâce auquel plusieurs de ses étudiant(e)s sont devenu(e)s des écrivain(e)s que nous connaissons aujourd’hui dont Zohra Aoudia.

Avec Tadist yettwaneεlen (Grossesse maudite, non traduit), Zohra Aoudia s’intéresse à la vie des enfants sans filiation connue issus des relations non assumées. Tout en décortiquant une réalité amère, elle nous donne la latitude de voyager dans le temps et dans l’espace, et nous fait projeter dans un futur pas trop reluisant…

Tragédie et rebondissements

Le récit de Aoudia est gorgé de tragédies et rebondissements à la fois cruels et horribles ; les scènes se vacillent entre férocité, tendresse, amour, violence et folie. Avec fluidité et enchaînement remarquable des événements, plusieurs sujets y sont traités. Notre roman n’a rien à envier aux polars et autres genres littéraires dits « engagés ».

D’un enfant “né sous x” d’une relation interdite par la société, et de son combat pour s’affirmer et mener une vie simple malgré tout… Zohra Aoudia a également traité de l’adoption de l’enfant, de la stigmatisation des femmes célibataires et divorcées, notamment les diverses violences dont elles sont victimes tels le viol, agressions physiques ou verbales et surtout sexuelles voire le féminicide, et autres tabous… Tous ces éléments constituent la trame narrative qui incite le lecteur à le lire d’une traite. De son style poétique et d’une écriture subtile qui maintient le suspense, l’auteure donne au lecteur le désir de sentir la force des mots des cinq chapitres qui compose ce roman.

Une vie à découvrir de Damya, fille d’une certaine Razan, une réfugiée syrienne ayant fuit son pays la Syrie, en guerre civile, pour se retrouver à Tizi-Ouzou. Notre auteure fait plonger le lecteur dans une histoire déchirante d’une femme (ou plutôt de deux femmes : Damya et sa mère) trahie(s) par la vie…

Le titre Grossesse maudite donné par Aoudia à son récit est celui que Damya a donné à son journal intime dans lequel y sont transcrites toutes les bribes de sa vie pour exorciser sa douleur…

Originalité et anticipation

Chaque chapitre de ce roman est une étape cruciale dans la vie de Damya. Du premier qui nous dévoile les conditions cruelles de la grossesse de Razan,  et les autres jusqu’au cinquième et dernier qui fustigent les péripéties de la vie des deux femmes, disent long sur le destin de beaucoup de femmes privées de leurs droits élémentaires  notamment celui de vivre dans la dignité.

L’originalité de récit est son aspect d’anticipation autant le récit se situe entre le passé récent et le futur. L’histoire est entamée en 2012 qui prendra fin en 2044. Le cadre des événements du récit n’échappe pas à l’actualité qui a marqué le quotidien des Algériens comme la crise sanitaire du Covid-19 et ses néfastes incidences; ou les incendies criminels qui ont ravagés la Kabylie, en aout 2021. La vie estudiantine et intellectuelle, l’éducation et la quête du savoir occupent une place importante dans le roman par truchement de parcours de Damya.

Dimension humaniste

Zohra Aoudia a décrit avec minutie ses personnages dans leurs tourments intérieurs comme pour les autres protagonistes soulignés dans le récit à travers leurs vécus quotidiens ce qui reflètent en même temps la bonne connaissance de l’auteure des aspects psychologiques des individus et la dimension humaniste de l’œuvre. Un roman imprégné de la douleur humaine.

L’auteure porte également des critiques poignantes sur le regard d’une société « arriérée » vis-à-vis de la femme à l’instar du poids des traditions, des mentalités mesquines et de la frustration masculine… Préoccupée par la condition de la femme, elle y traite des sujets tabous, dénonce les injustices et révèle la réalité sans détour.

Ce roman écrit par une femme peut se situer comme un porte-voix des femmes sans voix, elle témoigne et veille à la transmission de messages d’espoir.

Tadist yettwaneεlen qui prend des allures d’intrigues et crime… dont détective privé, police scientifique, enquêteurs, y sont engagés pour faire éclater la vérité… ce magnifique récit en sus d’être un roman social, d’anticipation, psychologique, … n’est-il pas aussi un roman policier ?

Zohra Aoudia, l’une des femmes pionnières de la littérature amazighe d’expression kabyle, fait parler, grâce à ses écrits, la majorité silencieuse pour dire à haute voix ce que beaucoup d’hommes et de femmes pensent tout bas !

 

Tadist yettwaneεlen
Zohra Aoudia
Éditions Imtidad -2023
171 pages.
Prix : 800 DA.