Yezger asaka premier roman de Lyes Belaidi, édité par les Éditions Imru en 2019, constitué de cinq chapitres, raconte le périple d’une personne cherchant à s’accomplir et à s’assurer une vie meilleure. Ces chapitres se suivent dans le sens du cheminement que prend la traversée du personnage central, Ṣayddu.

Les deux premiers chapitres exposent les questionnements de ce personnage, sa vie contrariée, la dureté des conditions sociales dans son pays et le malaise multidimensionnel (précarité, exploitation désavantageuse, terrorisme islamiste, etc.).

Déjà précédés par une sorte d’avant-propos (intitulé : Tettru ttrun warraw-is) de cinq pages – un texte traitant de l’exploitation des richesses de l’Afrique par les multinationales – Ces deux chapitres constituent, du point de vue de la logique narrative, les causes principales provoquant la décision puis le projet de départ de Ṣayddu, projet amenant ce dernier à tenter l’émigration en traversant le grand désert et la Méditerranée. Les trois autres chapitres racontent tour à tour les péripéties de cette longue traversée du personnage principal, ses rencontres par moment malheureuses par d’autres heureuses ensuite, ses haltes imposées par le trajet… Et l’histoire se termine par la traversée de la Méditerranée au bord d’une barque de fortune.

Deux originalités sont à noter dans ce texte. Formant un tout (structurel), ces deux originalités se justifient mutuellement ; leur séparation est opportune pour mieux les mettre en exergue et du coup estimer leur valeur poétique.

La première est liée aux lieux de l’histoire. Mise à part le quatrième chapitre et une partie du cinquième, l’espace de l’histoire est autre que celui de la Kabylie. Fait nouveau dans l’écriture romanesque kabyle, voire même dans la prose littéraire dans sa globalité, cet espace est représenté par les villes et les villages du Mali (Bamako, Kutiyala, Kimparana, Ǧenn, Siḍari, Tumbuktu, Anfis, Taṣalit) et des agglomérations frontalières (Tinẓawaḍin, Tamenrast) et des villes de l’intérieur de l’Algérie (Ḥasi Mesɛud, Msila). Ces espaces, outre le fait qu’ils sont physiquement et topographiquement différents, ils sont investis d’une représentation particulière. S’agit-il là d’un élément d’un nouvel imaginaire ? La question mérite d’être posée en sachant que l’essentiel de la représentation spatiale dans l’écriture romanesque kabyle est basée essentiellement sur la poétique de la ruralité, plus généralement sur la poétique de l’identitaire. Cette dernière est rappelée (j’ai envie de dire par reflexe) dans le quatrième chapitre (Taqbaylit tger-as irebbi, pp. 66-93) où l’espace est présenté comme accueillant, entre autres de quiétude, d’amitié et de repos, contrairement aux autres espaces de la traversée (espace de l’agression).

Concomitante à la première, la seconde originalité est relative au personnage central de cette histoire. C’est un personnage d’une autre culture, autre que kabyle. Ṣayddu Mayga, est son prénom et nom ; Malien d’origine, instruit (ayant fait des études en économie à l’université de Bamakou) et de tempérament plutôt positif. C’est un personnage qui appartient à une nouvelle référentialité. On n’a pas l’habitude de lire des textes en kabyle dont les personnages sont issus d’autres cultures. Il y a lieu de noter cette nouveauté comme l’une des caractéristiques importantes de ce texte. Avoir un roman avec un personnage principal étranger, c’est élargir nécessairement la sphère de l’imaginaire créatif.

Outre l’histoire racontée, traitant de l’émigration illicite avec son lot de désastre qui atteint la condition humaine, ce texte aborde dans son contenu thématique plusieurs sujets liés entre autres à la référentialité justement de l’espace des actions. L’exploitation des richesses de l’Afrique par les multinationales, le terrorisme, le racisme, le désespoir et la condition de l’individu dans les sociétés où la collectivité est primordiale constituent autant de motifs traversant le thème central.

Une autre caractéristique de ce texte est le style de sa narration. Plusieurs genres, dont le conte, la nouvelle et le roman, se côtoient. En effet, la focalisation du narrateur sur le personnage principal rappelle le style de la nouvelle. Faut-il mentionner à ce propos que ce texte était une nouvelle (l’auteur a déjà eu l’un des prix de la Nouvelle de la Fondation Tiregwa au Canada avec un texte intitulé Ṣayddu). Ce qui était nouvelle est allégrement augmenté par des descriptions, des digressions (comme la mort de Ba Muḥ) et des commentaires. Ces amplifications sont appuyées, au niveau narratif, par l’insertion de la narration simultanée (comme dans l’épisode de l’attaque terroriste dans le deuxième chapitre et dans l’épisode de la mort et les funérailles de Ba Muḥ dans le quatrième chapitre). Par moment, le mouvement narratif est suspendu par des digressions balançant le style dans le romanesque. De même que le style du conte s’invite avec cette rapidité des événements racontés et ce merveilleux dans la narration.

Une dernière caractéristique. Elle concerne le titre, Yezger asaka. Indiquant l’action de traverser au bon endroit, ce titre, tout en étant poétique car suggestif de la mobilité et de l’espoir (par le sémantisme principal du verbe et de l’aspect accompli de l’action), est cité à plusieurs reprises dans le texte (p. 41, 50, 51, 52, 105). De ce fait, il rappelle assez souvent le projet du personnage principal. La fin ouverte de l’histoire n’est, au regard du procès accompli dans le verbe du titre, qu’un artifice de la narration. L’issue de l’histoire est déjà portée par le titre. De ce fait, c’est un titre condensateur de l’histoire.

Mohand Akli Salhi

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Lyes Belaidi
Yezger asaka

Roman
Editions Imru Tizi-Ouzou, 2019, 111 p.