PARTIE 2 : Toutes les violences faites à une identité et à des langues se sont heurtées à des résistances. L’éveil identitaire est notable chez les premiers intellectuels kabyles formés à l’école française. Parmi eux, un grand nombre d’instituteurs. Leur résistance emprunte « la voie de la production scientifique (langue, littérature, histoire berbère…). Amar Ou Said Boulifa, auteur d’un Recueil de poésies kabyles (1904), d’une Méthode de langue kabyle (1897 et 1913) et de nombreux autres travaux ethno-historiques dont une monographie historique de la Kabylie (1925) », sort du lot.
« Ligne berbère » dans le mouvement national
Plus tard avec l’avènement de l’Etoile Nord Africaine, la question identitaire s’invite dans le champ politique. Des les années trente, le clivage entre « kabyle » et « arabe » se dessine dans le mouvement national. Imache Amar incarnait la ligne berbère dans le mouvement. « Les références à la traditions berbère sont aussi explicite chez Imache, que le sont celles à l’arabo-islamisme chez Messali. (…) Même si le paramètre linguistique ne semble pas y avoir joué un rôle apparent, ce conflit constitue la première manifestation précise d’une ‘’ ligne berbère’’ dans le champ politique algérien… »
De jeunes militants nationalistes déterrent Massinissa, Jugurtha et Kahina, l’icône de la résistance à la conquête arabe. Entre 1945 et 1950, « une génération de très jeunes militants kabyles du courant nationaliste radical (PPA-MTLD) se met à écrire des chants engagés en langue berbère. (…) En Kabylie, l’Algérie future se chante alors en berbère… »
A ce propos, dans Berbères aujourd’hui, Salem Chaker fait référence à une thèse (non publiée) de M. Benrabah d’un corpus d’une trentaine de textes dont les principaux auteurs sont : Ali Laimèche, M. Idir Ait-Amrane, Hocine Ait-Ahmed, Mohand Said Aiche et Tahar Oussedik. L’analyse révèle, entre autres : « La quasi-totalité des repères historiques, géographiques et des valeurs de référence est puisée dans le patrimoine berbère ou spécifiquement kabyle : Massinissa, Jugurtha, la Kahina, les résistants kabyles de 1857, de 1871… ; le Djurdjura et la montagne (adrar), symbole omniprésent de résistance (Mons ferratus = adrar n wuzzal), Icerriden, les valeurs kabyles de l’honneur du groupe, la fidélité aux aïeux. (…) Les référents ethniques sont tous berbères : Imazighen, Igawawen, Icawiyen ; strictement nationaux : Algérie/ Algériens ou « internationalistes » : Afrique. Le terme « Arabe / arabe » n’apparait jamais. Le mot islam non plus ; le générique ddin, « religion » est exceptionnel…Quant à la langue, seule tamazight (le berbère) est évoquée, jamais l’arabe (taєrabt)
Avril 80, le tournant
La question, berbère, identité et langue, « gondait », depuis au moins l’avènement du mouvement nationale, jusqu’à la crise de 1949. Depuis, affirme Salem Chaker, dans Berbères aujourd’hui, il n’y a plus, jusqu’à l’indépendance, d’expression politique du courant berbère. Et c’est alors que commence la chasse aux sorcières qui ira jusqu’à la liquidation physique des berbéristes. « Les révélations du chef des services des renseignements égyptiens d’alors (Dib, 1985), chargé tout particulièrement par Nasser de ‘’suivre’’ la Révolution algérienne (…) atteste que l’un des soucis lancinants des responsables arabes pendant la guerre d’Algérie aura été de marginaliser les chefs politiques kabyles : à leurs yeux ils sont, à peu près tous suspects de ‘’berbérisme’’ et leur ‘’loyalisme arabe’’ n’est pas assuré. La liquidation physique de Abane Ramdane, puis le lent processus d’encerclement et de marginalisation de Krim Belkacem, peut être même la mort d’Amirouche, s’inscrivent dans ce contexte de rivalité ‘’Arabes/ Kabyles’’ »
Huit années après l’indépendance, la question berbère revient à la charge et est portée sur la scène de l’actualité d’une manière brutale et elle y trouve une société kabyle prête à en découdre. Cela a commencé par l’interdiction d’une conférence que devait animer Mouloud Mammeri à l’université de Tizi Ouzou. La réaction qui s’en suivra fera de ce que l’on appelle le Printemps Berbère, l’un des évènements majeurs de l’Algérie indépendante. L’université de Tizi-Ouzou y avait joué central et avait été le fer de lance de la contestation que l’ensemble de la population prendra à bras le corps. Depuis, il ne se passait pas un Avril sans que la contestation, plus ou moins brutale, n’investissait les rues de Kabylie. Désormais, la « révolte » refuse la clandestinité. Elle sera encadrée ouvertement est d’une manière assumée par les activistes du mythique MCB (mouvement culturel berbères). La situation échappe au pouvoir. « L’échec, le désaveu de la politique culturelle et scolaire algérienne est cinglant et patent. La jeunesse kabyle subi ce moule mais le rejette. Près de trois décennies de contrôle absolu de l’information et de la politique d’arabisation n’ont pas réussi à extirper en Kabylie les ‘’résidus’’ de berbérisme. Bien au contraire, elle semble les avoir renforcés et avoir contribué à leur donner une ampleur qu’ils n’nt jamais eue avant 1962 ! L’idée ‘’berbère’’ imprègne la totalité du tissu social de la région alors que l’environnement institutionnel lui était radicalement hostile. »
Portée par la jeunesse et encadrée par le MCB, la contestation se diffuse à l’échelle de l’ensemble de la Kabylie, voire au-delà. Devant une telle mobilisation et une telle détermination, le pouvoir concède l’ouverture des départements de langue et cultures amazighes à Tizi-Ouzou en 1990 et à Bejaia en 1991. Le grand aboutissement est l’introduction de tamazight dans le système éducatif, arraché au terme d’une contestation (le boycott scolaire) enclenchée en 1994. L’acquis est important parce que l’école permet à tamazight : « de s’inscrire dans un processus de standardisation à travers son enseignement qui la propulse de plus en plus en avant ; de gagner du terrain grâce à un nombre croissant d’élèves, d’enseignant et d’inspecteurs, notamment en Kabylie ; de permettre aux écoles où tamazight est enseignée d’atteindre des taux de réussite meilleurs que dans celles où elle n’est pas enseignée ; de développer des attitudes positives vis-à-vis de tamazight comme l’affirme Dalila Morsly à l’issue d’une enquête qu’elle a mené ‘’pour déterminer où en étaient les représentations des enseignants à l’égard de tamazight’’ (Morsly 2002 : 82 »
Constitutionnalisation : reconnaissance ou processus de « délégitimisation » ?
En 2001, la Kabylie est encore une fois dans la rue pour exiger justice suite à l’assassinat d’une jeune de Beni Douala dans la brigade de la gendarmerie. S’ensuivra une violence sans précédant : 126 jeunes y périront assassinés et des milliers d’autres blessés à vie. Le 14 juin de la même année, la kabyle marche sur Alger pour remettre une plateforme de revendication. La démonstration de force de ce Printemps Noir est sans aucun doute la plus impressionnante de l’histoire du pays. Le pouvoir panique, il s’empresse d’engager un dialogue avec les mandataires des ârchs.
Reconnaissance, mais…
Théoriquement, beaucoup de chose ont été concédées. On en retient la reconnaissance de tamazight comme langue nationale dans la constitution. Même si cette reconnaissance constitutionnelle revient à affirmer que « l’eau mouille », il n’en demeure pas moins que du point de vue symbolique il s’agissait d’une grande avançait. De toute façon on est loin, très loin, de l’Algérie de Taleb Ibrahimi qui promettait « d’anéantir ce mélange d’éléments de cultures disparates, hérité des époques de décadence et de la période coloniale, de lui substituer une culture nationale unifiée, liée intimement à notre passé et à notre civilisation arabo-islamique »
Le monde dit arabe (Tunisie, Libye, Égypte…) connaitra son Printemps en 2011. Les peuples sont déterminés à en découdre avec leurs tyrans. Les révolutions y aboutiront au détriment de la… démocratie. En Algérie, les tenants du pouvoir paniquent, ils craignent l’effet boule de neige. Ils prennent alors les devants et promettent plus de démocratie dans la constitution qu’ils envisagent de revisiter.
Sans grande surprise, tamazight y sera consacrée langue officielle, en 2016 par, paradoxalement ses négateurs parlementaires.
Les dates phares que représentent le 20 avril et Yennayer seront aussi reconnues officieusement par les autorités publics qui à chaque rendez-vous y mettent les bouchées doubles pour festoyer les souvenances en intramuros. En effet, désormais les portes des institutions publiques, notamment celles relevant du secteur de la culture, et les plateaux des chaines de télévisions publiques deviennent démesurément accueillant et à un excellemment roder à la « normalisation folklorique » de la langue et culture amazighe.
Jusqu’à un certain point, le pouvoir a réussi à délégitimer la revendication. On a bien entendu des personnalités publiques dont d’anciens acteurs du MCB dire qu’il n’y a plus de raison de marcher le 20 avril. Délégitimer l’action de revendication semble être là l’objectif recherché par la reconnaissance constitutionnelle.
Pour ce qui est de la réalité à laquelle est confrontée la langue, notamment son enseignement, force est de constater qu’elle continue toujours à connaitre des problèmes liés au caractère facultatif, la polygraphie, le manque de formation. Plus grave encore : «Le volet culturel et identitaire est évacué au profit de l’enseignement des techniques discursives ». Ce cafouillage présage d’une non-volonté à réparer une injustice identitaire et linguistique. « L’introduction de tamazight dans le système éducatif ne répond toujours pas au besoin de prendre en charge le plurilinguisme de la société algérienne. Sa timide intrusion dans le système éducatif ne remet pas en cause le cadre juridico-linguistique de l’Etat-nation. Comme le souligne Ali Brahimi : il est regrettable que le contexte politique caractérisé par la manœuvre face à une révolte citoyenne ait réduit l question plus globale au seul statut de langue nationale (…) il s’agit de savoir qu’elle politique linguistique doit être celle du pays et quelle place doit occuper la culture en général dans la nécessaire intégration démocratique de la nation »
Depuis pratiquement l’avènement du Printemps berbère, le concept ‘’tamazight’’, jusque-là arboré au devant des manifestations de protestation, est de plus en plus et au fil du temps supplanté par le concept « kabyle » (la langue). La nouvelle génération de militants de la cause dite amazighe semble en net rupture avec ses ainés. Désenchantés et convaincus que l’Algérie plurielle et démocratique ne peut se concrétiser dans la configuration actuelle de l’État, de jeunes militants activant dans des mouvements nés de la désillusion revendiquent franchement une autonomie pour la Kabylie. Cette autonomie est différemment définies : pour les uns il s’agirait du séparatisme, d’autres revendiquent une autonomie dans le cadre d’une Algérie unifiée. Les partis classiques, eux aussi, à des nuances près enfourchent la vague autonomiste. Dans ce cas de figure d’une forme d’autonomie accordée (ou arrachée), il est clair que l’autonomie linguistique y suivait tout naturellement. Dès lors c’es tout naturellement aussi que le Kabyle, la langue, s’imposerait.
Tahar Ould Amar
*Inspiré de La reconnaissance-naissance de tamazight en Algérie : un processus lié à la confiscation ? (article cosigné Alain Di Meglio et Nadia Berdous)