C’est un livre qui vaut son pesant de vers rimés, ou pas. Il vient en effet enrichir la bibliothèque berbère, et doublement, parce qu’en plus d’offrir aux lecteurs de la langue tamazight un nouveau recueil de poésie, qui enchantera certainement les férus d’isefra et les transportera au pays des muses, il participe également à la sauvegarde du patrimoine culturel amazigh tout en célébrant la mémoire des anciens.
C’est d’ailleurs bien dans cette dernière optique que Nacer Medjoub, l’auteur inspiré de cet opus de 155 pages, récemment publié aux éditions Boussekine, s’est attelé à rassembler des fragments de mémoire sur la culture lyrique féminine de sa région natale, Aokas dans la wilaya de Béjaia, qui a ses propres caractères culturels distinctifs qu’il a ainsi voulu mettre en valeur.
Nacer Medjoub qui avait déjà co-signé un essai avec Abderrahmane Amara, intitulé Slimane Rahmani, Aokas culture locale et universalité, a recueilli des chants de femmes de la bouche même de sa mère, en les retranscrivant méthodiquement, s’aidant pour cela de sa connaissance d’une langue et d’une culture qu’il enseigne et en fait la promotion pour l’élever à l’universalité à travers la production écrite.
Pourquoi la parole des femmes? Il faut pour cela comprendre la place qu’elle occupait, peut moins aujourd’hui, et le rôle important qu’elle tenait au sein de la communauté pour saisir toute la pertinence de la tache a laquelle s’est astreint Nacer Medjoub. La parole chantée des femmes est d’autant plus précieuse que le chant était frappé d’intolérance, surtout si cette parole osait exprimer des sentiments, des émotions que la morale réprime et réprouve.
Bien heureusement, cela ne les a jamais empêché de chanter. Elles laissaient leurs coeurs donner libre cours à leurs épanchements dans l’intimité de la solitude, dans la rassurante et exclusive compagnie féminine, dans les lieux et temps réservés aux femmes ou de cérémonies particulières.
Pour chaque occasion, un genre de chant. S’il est aujourd’hui plus qu’aisé de documenter les comportements, les pratiques et les expressions, le travail que vient de livrer Nacer Medjoub, qui ausculte les mémoires, est la seule clé qui ouvre cet univers qui s’étiole avec la disparition progressive de nos anciens. Ces isefra, a la thématique variée, hymne à la joie, les beaux sentiments, la tendresse maternelle, l’humour, etc, ne sont quelques unes des précieuses perles éparpillées qui constituaient le collier, hélas brisé, du patrimoine culturel amazigh. Ce n’est pas une poésie sur laquelle il faut porter un jugement, mais à analyser.
De préférence à d’abord apprécier.
Extrait : Poème sarcastique (P. 88).
Kker i zewjet
Nnan-as i umɣar :
kker i neqcet
ul zmireɣ
kker i kerzet
ul zmireɣ
kker i zerεet
ul zmireɣ
kker i zedmet
ul zmireɣ
kker i zewjet
di crurdeɣ
di qnunceɣ
zemmreɣ zemmreɣ zemmreɣ
di zewjeɣ di zewjeɣ di zewjeɣ
Ouali M.