Tifeskar seg wakal agraɣlan, La parole qui libère de l’étreinte du temps et de ses vicissitudes.
Le verbe tranchant comme une lame, mais qui ne rompt guère avec la réalité qu’il décrit. Une poésie aussi profonde que le regard qui la porte et la transcende, l’œil aussi vif que la bonne parole qu’il sème à tout vent.
Une parole qui nous vient de loin, de très loin, comme celle des grands troubadours d’antan et à rien envier aux Si Mohand ou Mhand, Mohia ou Mohand Ou Yidir… Sinon qui la prolonge et l’embellit. Sur la trace de ses aînés, tels feu Ahmed Lahlou, Radja Ahmed et consorts mais également aux côtés de ses pairs, les Bentayeb Mohand Arab, Akli Aït Boussad, Sahi Azeddine…

Le cœur aussi blanc que la neige de ses montagnes, l’allure fine et le geste preste malgré les années. Son secret ?  La franchise et l’amour de la vie.

Les intimes l’auront sûrement reconnu qu’il s’agit bel et bien de Saïl Yahia, cet Ageswah kan très actif sur les réseaux sociaux. Né en Kabylie, le 17 janvier 1956, notre auteur, dessinateur en perspective-catalogue de formation, n’est pas seulement poète, mais également comédien par sa participation dans deux films en langue kabyle.  Mais entre nous, ne cherchez point une quelconque biographie sous ce pseudonyme, fouillez plutôt chez les intimes, Ageswah kan, car c’est comme cela qu’il aime à être appelé sur la toile !

Ma rencontre avec le poète qui ne fut pas un pur hasard, mais une heureuse coïncidence…  Un certain 22 juillet 2022, avec mes amis du SLAO (Salon du Livre Amazigh de Ouacifs), Djamel Laceb et Mohand Ouremdane Abdenbi, nous sommes allés le rencontrer dans son village d’Aït Azouane, à Bouzeguene. Nous avions pris la direction de Chemini pour prendre part à une autre rencontre sur le livre. « Tessemlalaɣ-d teqbaylit. Idurar n At Yeǧǧer d inigan » (La kabylité nous réunis. Les monts des Idjer en sont témoins), m’avait–il lancé. Ces mots sonnèrent alors le début d’une amitié qui sera longue.

Tifeskar seg wakal agraɣlan ou les nœuds coulant comme « taqbaylit » qui coule dans ses veines et ne cesse d’irriguer nos mémoires au quotidien, est le titre de son un recueil de 109 poèmes publié aux Éditions Imtidad, en 2022.

En essayant de comprendre le sobriquet Ageswah  dont il s’est affublé et qu’il arbore, d’ailleurs, avec fierté. Dans ce sens, j’ai sollicité l’aide d’un ami de l’équivalent de ce mot en français, sans aucun mal, il me propose : Sagace ; synonyme des autres mots courants, comme : avisé, clairvoyant, divinateur, fin, intelligent, lucide, pénétrant, perspicace, pertinent, profond, sage, sensé, subtil, talentueux.

Aucun de ces mots n’est péjoratif. Car, faut-il le dire, le poète, dans sa vie de tous les jours, ne diverge en rien avec ce qu’il écrit. Pour le contrarier, il suffit de tenir devant lui un discours académique et universitaire. Non pas qu’il dédaigne la culture savante, loin s’en faut ! Il dit seulement à ceux qui veulent l’entendre qu’à trop vouloir « normaliser » la langue en la fixant par écrit, on risque de porter un coup fatal à ce qui fait sa sève et sa quintessence : son oralité.

Les thématiques qu’il traite ? Tout y passe. Du simple poème d’amour au plus anodin souvenir, en passant par les mea-culpa, …   et hommages aux aînés. Cependant, aussi bien l’homme que le poète ne se dérobent pas ! Sa culture kabyle y tient une place de choix.

Pour preuve, il dit, en la sublimant dans D nettat kan (Je ne jure que par Elle ) (15/42) :

« Tugar kra i d-yettilin
Mači d ayen ara d yebder yimi
Tugar akk wid i tt-yugin
Tekka-d nnig tsusmi
Tugar Ḥsen d Lḥusin
D tmeckukal n at Nnbi»

Traduction :

«Inenarrable,
Elle est par-dessus tout.
Supplantant ses détracteurs,
Au-delà de l’insondable
Dépassant Hsen et Lhusin,
Et les manœuvres des illuminés»

Notre aède, en titillant la muse, fait dire à sa langue l’indicible et amère vérité du danger qui mine notre culture plusieurs fois millénaire. Il n’y va pas par mille chemins pour montrer du doigt les ennemis de « taqbaylit » et les torpiller. Dans ce sens, on découvre l’écho de l’un de ses sizains et l’interprétation d’un ami grand lecteur, Khelil Abderrahmane en l’occurrence, qui ne rend pas seulement la pensée de l’auteur mais la magnifie merveilleusement bien. Un extrait :

«Tugar akk tidiyyanin
I d-zrurεen at Rebbi
Deg yiqeṛṛa n wid ur nessin
Yerran talsa d agudi
Wid i aɣ-yettarran tikmamin
I wakken ad ilin nutni
Tugar akk timusniwin
D nettat i d tamussni
Ulac nnig-s tiyaḍnin
Ulac din Sidi Zekri
Urwent-d Teqbayliyin
Urwent-i-d d Aqbayli»

Traduction:

« Misère! Quel outrage à la raison !
De faux dévots tiennent le semoir,
Vomissent les graines de l’irraison
Et charment les sots par le grimoire.
De l’ombre ils cousent nos baillons
Et prennent racine au perchoir.
Obscurs, ils inculquent à profusion
Aux têtes incultes leur rare savoir.
Non ! J’exècre leur culte et dévotion,
Me porte en faux contre ces cerbères.
Nos femmes me portent en gestation
Et me vocifèrent en corps berbère.

Salah OUAHMED
Inspecteur de l’Education Nationale