Salem Ait Ali Belkacem fait partie, sans aucun doute, de cette race d’artistes à l’écoute et en interaction avec les palpitations de l’humus qui l’a vu naitre. Il le sert avec toutes les cordes qu’il a son arc son identité, langue et culture. Déjà, le médecin qu’il est engage sa générosité et sa prédisposition à venir en aide. La même générosité et autre don de soi collent à la peau de l’acteur qu’il est aussi. Un acteur qui , via le petit écran et grâce aux incontournables réalisations de A.Meddour (La Montagne de Baya) et Belkacem Hadjadj(Macahu), a vite fait de devenir un membre de la famille. Salem Ait Ali Belkacem, Usales pour les Ouacifiens, s’est aussi impliqué, corps et âme , dans l’aventure SLAO (Salon du livre Amazigh de Ouacif) . Pour la prochaine édition, la quatrième, ses camarades membres du comité d’organisation du SLAO l’ont élu commissaire.
Tangalt : D’aucuns estiment que le cinéma algérien n’a été prolifique et de qualité que dans les années 70/80. Cela est peut-être vrai, mais il n’en demeure pas moins que ce cinéma focalisait essentiellement sur l’autoglorification de la guerre de libération et des fameuses quatre révolutions qui s’ensuivront. Autrement dit, il était sous les ordres des orientations politiques, voire idéologiques, excluant ainsi l’individu algérien au profit du collectif. Vous en pensez quoi ?
Salem Ait Ali Belkacem : Il y a du vrai dans ce que vous dites. L’Algérie est restée pendant longtemps dans l’euphorie de l’indépendance et de la construction du pays. Un prétexte pour un dirigisme tous azimuts. Il n’y avait pas que le cinéma qui était sous la chape de plomb mais tous les secteurs identitaires, historiques, économiques, sociaux, médiatiques et culturels. Certains réalisateurs étaient de bonne foi et croyaient en l’élan révolutionnaire en vogue à l’époque. D’autres devaient bien gagner leur croûte et s’y étaient soumis par dépit. Ceci dit, il faut reconnaitre qu’il y a eu des films courageux, intelligents et critiques qui n’ont pas connu une grande visibilité à cause des interdictions et de la censure.
Tangalt : Aujourd’hui, hormis quelques exceptions, le cinéma n’est pas mieux loti, il semble manquer d’audace et quand il en a, il est ou censuré ou interdit. « Papicha » de Mounia Meddour et « Ben-Mhidi » de Derrais, pour ne citer que ceux-là, ont en souffert. La pâte, le talent, la technicité…sont là, n’empêche que le cinéma peine à sortir de l’ornière. Comment l’expliquez-vous ?
Salem Ait Ali Belkacem : Oui, c’est justement le triste constat. Il y a trois types de censure : Celle dictée par des gardiens d’une fluctuante « ligne rouge morale et politique » à ne pas dépasser, celle de l’autocensure qui est plus grave et il y a aussi la censure des règlements de compte. En Algérie, tout est pensé comme si on a peur des cinéastes et des artistes. Il faut qu’il y ait quelqu’un, au-dessus, qui décide si mon film est bon à tourner et un autre pour décider s’il peut être projeter. Ce qui est en contradiction même avec le principe de l’art qui est la liberté d’imagination et de création. Il faut une réelle et sincère volonté politique pour détacher le cinéma de sa camisole réglementaire. Le dernier texte sur le cinéma contient plus d’articles coercitifs que de mesures visant à encourager la production à même d’égaler les normes internationales. Comment voulez-vous avancer avec une épée de Damoclès au-dessus de votre tête ? Heureusement, qu’il existe des cinéastes audacieux, talentueux qui, contre vents et marées, parfois au prix de leurs œuvres et carrières, osent en nous gratifiant de films nous invitant à la réflexion, à la remise en cause ou simplement à passer un bon moment loin de la langue de bois et de la fausse dévotion. A mon avis, la seule loi à laquelle doit obéir le cinéaste, c’est la liberté.
Tangalt : Le cinéma algérien d’expression amazighe, toujours en chantier, a été, à ses débuts, ambitieux. « La colline oubliée » de Bouguermouh, « La montagne de Baya » de A.Meddour et « Machaho » de Hadjadj (vous avez tenu des rôles importants dans les deux derniers) en sont la preuve. Puis l’élan s’est arrêté net, mis à part, Fadhma n Soumer, de Hadjadj, où vous avez aussi campé un personnage, asaru semble vivre la traversée du désert. Comment expliquez-vous le début très prometteur du film amazigh et la léthargie qu’il vit en ce moment ?
Salem Ait Ali Belkacem : Je l’ai toujours dit, le cinéma d’expression amazighe a eu le mérite d’avoir bien commencé. Avec les trois films que vous avez cités, la barre était mise très haut et l’espoir était permis. Il faut savoir que leur naissance s’est faite au forceps et cela n’a pas été de tout repos. Ils ont été tournés dans une période très difficile, bravant la mort et les blocages. Mais le résultat est là : Nous avons trois films mythiques faits avec militantisme et conviction, courage et abnégation, cœur et âme. Il y a eu d’autres films tout aussi beaux : Mmimezrane de Ali Mouzaoui, l’Insoumis de Rachid Benallal et Yazid Khodja et Arezki l’Indigène de Djamal Bendeddouche, sans oublier l’excellent film chaoui « la Maison Jaune de AomarHekkar.
Le succès de ces films a suscité un immense engouement auprès de nombreux cinéphiles qui s’étaient lancés dans la réalisation et la production de films en langue amazighe si bien que la quantité a primé sur la qualité. Il y a eu aussi des films indépendants tout aussi bons. La léthargie ressentie actuellement est à l’image de celle du cinéma algérien en général. L’Algérie produit des films au compte-gouttes. Ceux-ci ne sont projetés que durant des avant-premières ou en de rares occasions. Les salles de cinéma sont rares et le public est peu nombreux.
Nous le constatons, la mort dans l’âme, à la cinémathèque de Tizi-Ouzou qui propose chaque jour, des films très intéressants à un public absent.
Tangalt : Comment voyez-vous le sursaut ?
Salem Ait Ali Belkacem : Je ne cesserai jamais de le répéter, le développement du cinéma algérien passe d’abord par une volonté politique de l’ériger en industrie cinématographique avec tous ses secteurs : écriture de scénarii, réalisation, production, montage et distribution. La liberté totale de création, l’octroi d’un budget conséquent avec l’intéressement du secteur privé au financement, la profusion des salles de cinéma aux normes technologiques actuelles, l’introduction du module cinéma et théâtre dans le système éducatif et la création d’écoles pour la formation des métiers du cinéma sans oublier un statut encourageant la création et protégeant les droits de l’artiste.
Tangalt : L’une des figures importantes du cinéma algérien en général et celui d’expression amazighe tout particulièrement que vous êtes est sans doute sur des chantiers cinématographiques.
Salem Ait Ali Belkacem : Une autre grande raison de la crise du cinéma en Algérie est le facteur temps. Les lenteurs administratives font qu’un film met beaucoup de temps (parfois jusqu’à 10 ans) pour sortir. Les exemples sont légion et vivants. Certainement qu’il y a des projets en vue mais encore faut-il faire voir ce qui a été déjà fait comme le film Tizikert de Sami ALLAM, écrit en 2013, tourné en 2018 et qui n’est pas sorti à ce jour faute d’argent pour terminer la post-production.
Sinon j’ai joué dans le film Izuran de Slimane Boubekeur en double version originale (kabyle et arabe algérien). Une belle expérience. Le feuilleton Asif N Tzizwa de Dris Benchernine et une appartition dans Fouroulou de Ali Berkennou et un autre film de mon ami Amar Tribeche. J’ai aussi envie de passer derrière la caméra pour montrer mes idées mais ce n’est pas demain la veille.
Tangalt : A côté du cinéma, vous activez sur le terrain de la culture. Vous venez d’être élu par vos pairs du Salon du Livre amazigh de Ouacif, Commissaire du SLAO et vous vous apprêtez à lancer la 4ème édition. Parlez-nous-en.
Salem Ait Ali Belkacem : Oui. Une grande responsabilité et un honneur d’être à la tête d’une si formidable aventure. C’est aussiun challenge. Celui de tenir la 4éme édition du Salon du Livre Amazigh des Ouacifs qui aura lieu du 26 au 29 septembre 2024 à Ouacifs. Et je dois dire que j’ai la chance d’être entouré par un collectif de personnes volontaires, abnégatrices et convaincues. Nous essayons de mettre en place un cadre de visibilité pour le livre d’expression amazighe, d’encourager les auteurs, de susciter un intérêt pour la lecture du livre amazighe et créer un carrefour d’apprentissage, de rencontre et d’échange.
Je vous remercie pour l’honneur que vous me faites de m’accorder cet entretien.
Entretien réalisé par Tahar Ould Amar