Avec une belle figure (une comparaison signifiant le déplacement) en guise de titre, une image (fort probablement une scène filmée) où le vent, le froid, l’étendu et l’ouverture de l’espace orientent la destinée du marcheur et une strophe (un quatrain) de Baudelaire (parlant de ceux qu’habite l’errance) en épigraphe, le seuil du roman d’Ali Mouzaoui est remarquablement embelli, invitant ainsi le lecteur à l’univers de l’incertitude qui conduit petit à petit à une déchéance programmée par le retournement de situation.
Cette invitation se confirme dans la présentation du roman et la citation de l’auteur dans la quatrième de couverture. Entre ces marges, une histoire se déroule, sous les yeux de la personne qui la lit, comme un film retraçant le ton d’une voix habitée par la contrariété, l’ambiguïté et la contrainte et dont le corps qui la porte empreinte la voie de l’errance et de la déchéance. Cette voix et ce corps portent l’identité d’un poète hors pair dans la tradition kabyle : Si Mohand-Ou-Mohand.
Oui c’est de la vie tumultueuse de Si Mohand-Ou-Mohand qu’il s’agit dans ce roman. Oui un roman, une fiction élaborée à partir d’une biographie presque connue par cœur. Une biographie romancée. Agréablement romancée. Une vie d’une sensibilité exceptionnelle provoquée par un événement historique : une défaite militaire qui a condamné un regard à quitter les lignes des manuscrits pour se jeter dans les panoramas lointains, qui a enlevé une voix de la psalmodie pour en faire le réceptacle des rythmes mesurés, rimés, poétisés à en couper le souffle, qui a fait d’une mémoire appelée à retenir les préceptes religieux une chronique de confessions, de souffrances et de ressentiments… enfin, une vie tellement inattendue qu’elle peut faire pleurer le plus durs des cœurs. Une vie faite de désolation, ponctuée de pérégrinations voulues salvatrices mais qui s’avèrent accumulatrices de douleurs et de ressentiments.
Une fiction. Il ne faut pas l’oublier. Un palimpseste à plusieurs écritures plus ou moins effacées et dont la plus apparente est teintée de fiction. C’est celle du narrateur très observateur, bienveillant et compatissant d’Ali Mouzaoui. Et c’est là la force de ce texte. Sa force est dans l’œil focalisateur du narrateur tel un zoom de la caméra. Faut-il rappeler que l’auteur de ce roman est réalisateur ? Faut-il aussi « vendre la mèche pour ceux et celles qui ne le savent pas (encore)» que ce roman est la forme romanesque d’un film sur l’illustre poète et que ce roman est le frère jumeau d’un scénario. Des frères d’un seul œuf ou de deux œufs différents ? Je ne le sais pas (encore). D’un même acte amoureux, c’est possible. D’une même grossesse, c’est sûr.
Sa force est également dans cette accumulation qui fait de la vie du personnage principal une douleur qui ne cesse de s’agrandir jusqu’à provoquer l’ange qui met le rythme et la profondeur dans la parole de Si Mohand-Ou-Mohand, faisant de lui un poète qui, en se disant, berce le chagrin de ses auditeurs.Tableau après tableau, la fresque prend forme pour signifier l’évanouissement qui a enveloppé la vie de Si Mohand et des siens. Tableaux haut en détails et en couleurs représentées par les figures profondes qui installent une rhétorique de la douleur et de la déchéance. Oui… sa force est aussi dans la poéticité de l’expression, rappelant celle du poète lui-même.
Avant que j’entame sa lecture, j’étais un peu hésitant. Comment apprécier un roman dont on connait déjà l’histoire qu’il raconte ? Se poser cette question c’est reconnaitre de prime abord que ce qui est raconté est essentiel dans la réception des textes, tout au moins l’une de ces facettes importantes de son esthétique.
En lisant roman d’Ali Mouzaoui intitulé Comme un nuage sur la route, le plaisir n’a fait qu’augmenter au fil des lignes et des pages. Maintenant que j’ai terminé sa lecture… que dois-je le dire : j’ai tellement aimé que je le recommande.
Une dernière confidence : je suis retourné dans les pages de cette condition (in)humaine pour en relire certaines et j’ai eu le plaisir de traduire quelques-unes, juste pour retrouver le plaisir tel l’ivre qui reprend son verre :
Asif, mi ara yenǧer targa-s, ur tt-yettḍerrif ; ɣas bɣan yimdanen ad as-beddlen targa, ur sawaḍen. Akken ula d tawenza-w. D acu ara xedmeɣ a xali ? D acu i umi yezmer Si Muḥend U-Mḥend ? Ulac ! … Ddiɣ akken ddan waman. Ur d-cqiɣ anda ara yaweḍ uḍar. Ass-agi, lliɣ dagi ; azekka, wi iẓran, ad iliɣ anda nniḍen. Ur d-cqiɣ anda ara d-griɣ, amzum d aɣerrabu i seɛyant lmuǧat. Nniɣ-ak a xali, ur qerreḥ iman-ik, ahat d deɛwessu ad tt-sɛeddiɣ. Ur gar aɣbel, ayen yuran, qebleɣ-t. (Sb. 141)
D iberdan i iyi-d-isawalen a Belqasem. D tiɣri n yiberdan. Tekka-iyi-d nnig uqerruy. Ur ufiɣ iman-iw la dagi la anda nniḍen. Akka i tebɣa twenza-w. Ttazzaleɣ deffir n wulac. Yal tikkelt ad nwuɣ wḍeɣ iswi-w, ifessex gar wallen-iw, yettqabal-iyi lḥiḍ. Nekk akked tili, d yiwen. Anda-t Si Muḥend U-Mḥend, anda-tt tili-s ? Ur ẓriɣ ara. (Sb. 178-179)
- Wissen ma tezmer tḥedduft n usigna ad tqamer tazmert n waḍu, a Si Smaɛil ? Ɛni yezmer ad yeqqim usigna deg yiwen n umḍiq ? Aha kan… wali kan asigna mi ara t-ntaben yicelyaḍen n waḍu ? Fkiɣ mayna, a Si Smaɛil, ad dduɣ akken yebɣa waḍu… (Sb. 191)
Mohand Akli Salhi