Il est des livres qu’on lit, il y a des livres qu’on vit. Le livre de Khadidja Djama réussit à conjuguer la lecture au rythme de la vie : en le lisant, on le vit.
Le livre est une invitation à pénétrer la profondeur d’une douleur ; c’est un livre qui ouvre une fenêtre sur une conscience triturée par le chagrin de l’enfance et l’incertitude du futur ; un livre dont les pages, beaucoup de pages, illustrent la souffrance d’une femme-mère qui quitte, malgré elle, sa famille, sa ville natale (Casablanca), accompagnant son mari kabyle pour une montagne qui la surnomme tamerrukit-nni (cette marocaine) ; un livre d’une fillette, yelli-s n tmerrukit (la fille de la marocaine), qui doit être plus Kabyle que les Kabyles. Et la suite lui donnera raison. C’est un livre qui donne la parole à une frontière fermée faisant du voyage incertain l’itinéraire d’une femme et des nuits de sa fille une angoisse permanente.
Ce livre est un voyage aux origines d’une vocation et d’une carrière, celle d’une sociologue.
C’est un livre qui se présente comme un champ où le lecteur peut glaner l’information comme des fruits d’arbres cultivés par une main experte. C’est un livre qui nous instruit, et de quelle manière !!! Il propose un regard ethnographique de l’intérieur dont certaines pages relèverait plus d’un journal d’un ethnographe méticuleux. La description de la fête, du processus festif plus précisément, prend toute sa signification quand le regard est de l’intérieur mais aussi par une sensibilité qui cherche à comprendre cette société qui la voit comme une étrangère (d yelli-s n tmerrukit). Le même voyage nous révèle les tons et les timbres d’une voix harmonieuse qui a orné les ondes de la chaine 2 : taɣect n Xadiǧa (la voix de Khadidja). Une belle voix, affectueuse et sereine, porteuse d’informations sûre car vérifiée à la source, auprès des actrices et des acteurs de la radio kabyle. C’est un livre qui propose également, quel bonheur, la visite guidée du labyrinthe des premiers moments de cette radio, notamment de ses voix muselées des femmes qui allaient devenir des stars de la chanson féminine kabyle.
En un mot, c’est un livre qu’il faut lire. C’est le livre de Khadidja Djama intitulé Rescapée du conflit algéro-marocain, édité par les Editions Achab en 2018. Le titre peut paraitre un peu décalé, et peut-être même inadapté. Pas du tout. Ce titre est une indication importante de la posture de son autrice.
Mohand Akli Salhi