Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, le manuscrit d’expression amazighe ne trouvait pas preneur parmi les maisons d’édition. Il était considéré comme un OSNI (objet scriptural non identifié) avec lequel les maisons d’édition refusaient de composer.
Bien évidemment ce refus de lui ouvrir les portes est justifié par le fait que « tamazight » n’était pas un produit marchand. Une maison d’édition est avant tout une entreprise économique : elle n’investit pas là où il y’a risque de banqueroute. Les plus ouvertes au livre amazigh proposaient la formule « compte d’auteur » (certaines continuent toujours à fonctionner avec la même formule), une formule dissuasive.
N’empêche que quelques maisons d’éditions qui se comptaient sur les doigts d’une main avaient relevé le défi et pris le risque d’ouvrir leurs entreprise exclusivement aux manuscrits en et sur tamazight. L’on citera entre autres, Azur Éditions (2003-2009), Achab Éditions et Tira Editions. Mais lorsque l’on connait les profils de ces quelques éditeurs, l’on comprend aisément la « folie » d’investir où il n’y a pas retour d’écho. En effet, en plus de ne pas être des épiciers de la rotative, ces éditeurs sont amoureux du livre, ont produit de l’écrit et on surtout un passif d’engagé pour la question amazighe, langue et culture. Pour ainsi dire, lancer une maison d’édition consistait à joindre le geste à la militance. Quelques-uns, comme Azur éditions, ont fini par mettre les clés sous le paillasson, en 2009.
Le marché est maitre
Il est évident que le marché est maitre des céans, de lui dépend le devenir du livre en général et de celui en tamazight tout particulièrement.
Mais ce même marché est tributaire du… « client ».
On ne se rend pas dans une librairie comme on se rend dans un souk de fruits et légumes ou, encore moins, comme on irait faire la queue devant le très désiré et l’hypothétique sachet de lait. Il ne s’agit pas d’un même profil de clients. Devant l’étal d’oignon, on ne s’encombre pas d’abécédaires bibliographiques, on en achète et à n’importe quel prix.
Dans une librairie. Cela n’est pas le cas dans nos librairies qui peinent à accueillir le …lecteur.
Et le lecteur, bien entendu n’est pas mû par ses instincts nutritifs, comme c’est le cas pour celui qui se rend au souk. Le point nodal est donc le lecteur, c’est à travers lui que la littérature respire.
Mais alors pas grand monde qui lit tamazight ? Si, des centaines de milliers en ont appris à lire et à écrire en tamazight, depuis son introduction à l’école, il y a près de 30 ans. Mais le problème se pose en terme de lecteurs/lectrices et non d’alphabétisé(e)s.
L’école, la grande responsable
Même si la responsabilité est partagée aussi par l’auteur et l’éditeur, le grand responsable reste l’école qui continue de naviguer à vue et à tenir à distance l’Algérien de ses langues.
L’avènement de madame Benghebrit à la tête du Ministère de l’éducation avait suscité beaucoup d’espoir. Dès son installation, elle s’était attelé à algérianiser les contenus des programmes scolaires, réconciliant ainsi l’élève avec sa réalité socioculturelle et, plus important, lui proposant des motifs de fierté à même d’en finir avec la haine de soi.
Au moment où madame la ministre avait décidé de faire montre de sa détermination à « rétablir » le cordon ombilical entre la maison, l’enfant et l’école par le biais des langues maternelles. Sa démarche a tout de suite suscitée une levée de boucliers hypocrites. La ministre n’aura pas le temps de mener à bon port l’école.
Ce déficit en termes de lecteurs est relativement comblé par le tissu associatif (en Kabylie, essentiellement) au moyen de prolifération des salons du livre et autres cafés littéraires. Cette dynamique a toutefois réussi à maintenir le livre sous perfusion.
L’auteur
L’auteur, lui aussi, a sa part de responsabilité. Le politiquement correct mis de côté, l’on notera que beaucoup de ce qui s’écrit en tamazight tourne en rond et peine à s’extirper des thématiques récurrentes où nnif, lherma, taddart, lmiziriya et autres misérabilismes sont mis en exergue.
A ce propos, une jeune auteure prometteuse dit : « … ttasmeɣ mi ara qqareɣ idlisen n wiyaḍ am Stendhal. Ayen ur nesɛa ara di teqbaylit idlisen am wi. Nḥekku kan ɣef imeṭṭawen, nnif, tirugza, iniɣman…(quand je lisais les livres des auteurs étrangers comme Stendhal, se développe en moi un sentiment de jalousie. Pourquoi ne pouvons-nous pas écrire comme eux. Nous ne parlons que de larmes, de dignité, de figues sèches… »
Il y a quelques années, lors d’une rencontre organisée par le HCA, un auteur avait pris la parole et annonce au micro : « Le suis en train de traduire le roman Misère en Kabylie de Hernest Hemingway » (sic).
C’est dire, qu’on va à l’écriture sans grands bagages. Du coup, l’esthétique, l’intelligence et le plaisir n’y sont pas. Chose qui fait fuir le lecteur le plus déterminé.
L’éditeur
En l’absence de la première autorité sélective, la maison d’édition en l’occurrence, la bibliographie d’expression amazighe est forcément parasitée. L’éditeur a, lui aussi, sa part de responsabilité. Jusqu’à il n’y a pas très longtemps il se limitait à remettre ce qui est imprimé à compte d’auteur à l’auteur. Et c’est à ce dernier d’en assurer la médiatisation et la diffusion. Chose dépendante de moyens, de temps et surtout d’un savoir-faire. Il n’a donc d’autres choix que celui de butiner avec ses cartons d’une manifestation livresque à une autre.
Fort heureusement, l’éditeur s’est ressaisi. Même si des manuscrits en tamazight continuent à jaunir dans les tiroirs, il n’en demeure pas moins que des maisons d’édition se professionnalisent de mieux en mieux et s’ouvrent de plus en plus au livre d’expression amazighe. Des maisons d’édition se sont quasiment spécialisées dans le domaine amazigh, à l’image des Éditions Tamagit / Identité. Les Éditions Imtitad (voir portrait) ont tout particulièrement illustré en s’impliquant carrément dans l’organisation du Salon du Livre Amazigh.
La « lisibilité » passe aussi par la visibilité
Cette ouverture est sans aucun doute justifié par l’intérêt que suscite ces dernières années le livre d’expression amazighe, grâce essentiellement à sa visibilité assurée par quelques journalistes déterminés à l’image de Hacène Hallouane (Ayen uran medden ay nniɣ, sur les ondes de la Radio Tizi-Ouzou), Tacfarinas Nait Chabane( S tmaziɣt i d-uran, BRTV), Aomar Mohelbi (presse écrite, rubrique culturelle, l’Expression) et Kebci Mohamed (presse écrite, Le Soir d’Algérie).
Cette visibilité et aussi assurée grandement par les salons du livre dont tout particulièrement le salon du livre amazigh de Ouacifs qui préparent sa troisième édition. Il en est de même pour les réseaux sociaux et autres blogs et sites dédiés à la littérature à l’image de votre magazine Tangalt.
Tahar Ould Amar