Parti, il y a quelques années de Raffour, un village de kabylie qui a tant donné pour libérer le pays et a beaucoup servi la culture amazighe, Hamza Amarouche se retrouve à Francfort, en Allemagne où il enseigne, à l’université Goethe, tamazight. Son diplôme de départ (conseiller pédagogique de jeunesse) décroché à Tixraine ne le prédestinait pas forcément à l’univers amazigh. Pourtant, il y est pleinement. Le jeune Hamza Amarouche nous parle de son parcours « atypique ». « Écoutons »-le :
-Vous êtes partis de Raffour, un village de Kabylie, vous atterrissez en Allemagne où, qui plus est, vous enseignez tamazight. Ce parcours, et c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas commun. Racontez-le-nous.
Hamza Amarouche: Je ne suis arrivé en Allemagne qu’en 2022 pour commencer un doctorat en études africaines à l’université Goethe de Francfort en co-tutelle avec l’Inalco de Paris, où je suis également doctorant en littérature et civilisation amazighes. Auparavant j’ai vécu en Finlande une dizaines d’années où j’avais fait mon master de la Culture et des Arts en Media Management et j’ai eu aussi un autre diplôme en Communication de Marketing.
C’était d’ailleurs l’objectif de mon déménagement en Finlande, il y a quelques années auparavant. J’avais bénéficié du système éducatif finlandais devenu un exemple dans le monde. En Algérie, j’ai eu un diplôme de conseiller pédagogique de jeunesse à l’Institut national de la formation supérieure des cadres de la jeunesse à Tixeraine, Alger. Même si je n’ai pas fait à l’université des études amazighes mais c’était toujours mon rêve de le faire plus tard.
Aujourd’hui, je suis donc content d’avoir réalisé ce rêve. Quand j’ai vécu en Finlande, j’ai traduit en tamazight de la bande dessinée finlandaise, un livre d’enfant, un recueil du poète suedois Tomas Transtromer, un recueil de l’écrivain estonien Jaan Kaplinski et un livre contenant vingt cinq contes de l’écrivain danois Christian Hans Andersen. Tous les droits de ces traductions ont été régulièrement payés aux ayants droit et mes projets ont toujours été bien achevés avec les éditeurs scandinaves et les agents littéraires qui commercialisent les œuvres de ces auteurs.
A mon humble avis, le tamazight a besoin aujourd’hui de rentrer dans le marché professionnel culturel avec plus de confiance et de se mettre en place dans le forum littéraire et s’ouvrir au monde. Nous avons une belle littérature et un forum qui offre beaucoup de perspectives. Mes traductions ont donc été une opportunité pour s’exploser et se donner à fond pour promouvoir sa langue ailleurs. Ce que je n’avais pu le faire auparavant.
Revenant à votre question sur l’enseignement de tamazight en Allemagne, j’aimerais bien mentionner que ce n’est pas ma première expérience, car j’avais déjà enseigné le tamazight en 2016 au Département des Cultures du Monde à l’université d’Helsinki en Finlande. C’était une expérience intéressante et j’avais une quinzaine d’étudiants ayant suivi le cours jusqu’à la fin. Cette fois-ci, l’expérience est un peu différente en Allemagne puisque l’enseignement de tamazight fait partie de mon cursus d’études.
– Quel est le profil (ou les profils) de vos étudiants?
Depuis octobre 2022, j’ai été chargé de cours de tamazight (le kabyle) à l’Institut d’études africaines, comme langue africaine choisie par mes étudiants. Mon cours est non seulement ouvert aux étudiants de notre institut, mais aussi à tous les étudiants de l’université Goeth-Francfort. Mon cours est obligatoire pour les étudiants de notre institut qui ont choisi »taqbaylit » comme deuxième langue africaine à étudier, mais il est optionnel pour ceux venant d’autres départements.
Cependant chacun aura la possibilité d’avoir ce module après avoir passé l’examen final prévu pour le 12 juillet 2023. Avoir l’accès à passer l’examen est néanmoins soumis à la condition d’assister régulièrement au cours. Après chaque semestre, il y a un rapport sur la présence de chacun. Quant au profil des étudiants, chacun sa spécialité. Il y en a un qui veut se spécialiser dans la linguistique amazighe, un autre qui veut faire des recherches sur la musique nord-africaine amazigh, etc.
Comme d’ailleurs vous le constatez, ils ne sont pas inscrits par curiosité mais aussi pour réaliser un rêve/projet relié aux champs de leurs études. A vrai dire, ceci me motive également à donner à fond pour les attirer à la langue et la culture amazighes. Préparer des futures chercheurs s’intéressant et se consacrant à l’identité amazighe est un exploit important et juste un objectif que j’aspire à réaliser.
On n’apprend pas une langue, quelle qu’elle soit, pour l’apprendre. C’est, théoriquement, un « besoin » qui pousse à l’apprentissage de telle ou telle langue. Expliquez-nous ce besoin.
Justement, comme je viens de le dire, ce besoin se résume visiblement dans les rêves que ces étudiants veulent réaliser à l’avenir dans le cadre de leurs recherches. Par exemple, j’ai une étudiante algéro-allemande, accompagnée de sa mère, elle n’a jamais manqué mon cours. J’ai eu une discussion avec sa mère sur leur motivation pour apprendre le kabyle, elle m’a laissé savoir qu’elle est d’origine de Bou Saada où elle avait vécu son enfance. Elle avait, depuis son enfance, toujours rêvé de parler le kabyle y compris après son déménagement en Allemagne. Cette dame trouve donc aujourd’hui l’opportunité de réaliser son rêve non seulement seule mais avec sa fille, qui prépare son diplôme pour devenir professeur de français au lycée.
Un autre cas intéressant à mentionner, c’est un étudiant d’origine tunisienne qui fait preuve d’intelligence et de persistance depuis le premier jour du cours. Il m’a informé une fois que sa famille a des liens familiaux avec l’Algérie, et il n’a pas trouvé mieux que d’apprendre le kabyle pour manifester son intérêt à l’Algérie. Son souhait est d’ailleurs de faire sa thèse sur la musique kabyle. Il y a aussi dans mon cours un doctorant algérien de Constantine qui prépare son doctorat en pédagogie. Pour lui, ce cours est une opportunité pour continuer à maîtriser le kabyle après une rupture de vingt ans. Quand il préparait sa licence d’allemand à l’université d’Alger à Bouzareah, il avait beaucoup d’amis kabyles et à l’époque il parlait un peu de kabyle avec ses amis.
Il y a aussi un étudiant allemand d’origine marocaine (rifaine), il vient de temps en temps par curiosité et amour à toutes les variantes amazighs. Je ne peux pas citer les motivations de chacun, cas par cas, mais j’ai constaté un intérêt visible de la part de certains étudiants au-delà de la curiosité. Il y a une doctorante italienne qui prépare son doctorat en études amazighes dans une autre université allemande, elle était intéressée de nous rejoindre, mais faute de distance elle a annulé et a suivi des cours à distance avec un autre prof en France.
A vrai dire, il y a des étudiants dans d’autres universités qui ont voulu s’inscrire mais nous ne pouvons pas faire des cours en ligne, chose qui a déçu certains. Sinon, c’est aussi impressionnant comment est-ce que certains étudiants allemands prononcent les mots kabyles et donnent de l’importance à la prononciation de chaque lettre.
Vous enseignez sans doute la variante kabyle de tamazight?
Oui, au niveau académique, c’est plus pratique d’enseigner les variantes amazighes. D’ailleurs c’est important notamment pour les étudiants qui préparent un diplôme en linguistiques. Quand je reprends mon cours, l’année académique prochaine, on verra comment est-ce que cela va continuer. Il y aura probablement un espace pour d’autres variantes amazighes, mais cela dépend toujours du besoin de notre institut et de l’intérêt des étudiants.
Dans mon cours, même si j’enseigne le kabyle je n’hésite pas à expliquer parfois un mot dans d’autres variantes (quand je le connais). J’enseigne également un vocabulaire du néologisme qui a déjà pris place et est largement véhiculé et enseigné dans les écoles et les universités algériennes. Je suis prudent et si je ne suis pas sûr de quelque chose je n’hésiterais pas à demander de l’aide. C’est une responsabilité. Un étudiant étranger fait totalement confiance à son professeur et pour cela il faut être à la hauteur de ses attentes.
Comment vous vous y prenez, en matière de didactique, pour enseigner une langue minorée et à diffusion très limitée dans l’espace ?
Mon cours est composé de deux sciences par semaine: une science de conversation les mercredis et une autre de grammaire les jeudis. Mon directeur de thèse et de notre institut, le professeur Axel Fanego Palat, enseigne la grammaire les jeudis. Il est spécialiste en linguistique amazighe et sa présence est toujours fructueuse par rapport à l’apprentissage et la comparaison de la grammaire amazighe à celle des langues européennes. Cette complicité avec le professeur Axel booste non seulement la facilité d’apprendre mais aussi la stimulation de la curiosité chez les étudiants.
Pour l’année prochaine, on pense à préparer des manuels à la hauteur du cours et enrichir la bibliothèque de notre institut avec des livres pour apprendre tamazight. Pour le moment, le professeur Axel et moi-même, nous suivons un programme d’enseignement que nous planifions chaque début de semestre. Nous avons une plateforme universitaire en ligne où nous y mettons tous le matériel pédagogique et les étudiants peuvent télécharger le matériel de cette plateforme. Ils y trouvent également toutes les informations concernant le cours, les horaires, les changements du programme (s’il y en a ). C’est donc notre plateforme universitaire qui facilite la communication avec nos étudiants.
Comment est perçu le kabyle (la langue, mais aussi la culture qu’elle véhicule) par vos étudiants ?
Comme je viens de le mentionner auparavant, j’ai constaté qu’il y a un intérêt particulier chez les étudiants non seulement à la langue kabyle mais aussi à la culture, l’art et la littérature qu’elle véhicule. Par exemple, avant le début ou chaque fin de cours, je reçois des questions sur un tel artiste ou écrivain kabyle qui suscite l’intérêt d’un des étudiants. Je saisi l’opportunité pour donner un aperçu du parcours de l’artiste et parfois je traduis les refrains d’une de ses chansons. Par exemple, j’ai constaté que certains de mes étudiants ont déjà eu davantage d’informations sur des artistes kabyles comme Idir, Matoub, etc. Ils cherchent eux-mêmes sur Internet et Youtube et ils se documentent pour avoir plus d’informations sur le parcours de tel artiste ou tel écrivain. A vrai dire, les textes lyriques de ces chansons stimulent leur curiosité. Et pour mieux saisir les chansons, ils utilisent des dictionnaires en ligne que je leur ai proposés.
Comment vous appréciez la littérature d’expression kabyle caractérisée, ces dernières années, par un saut quantitatif ?
Je trouve cela juste formidable et impressionnant. Ça donne vraiment de l’espoir. Effectivement, il y a aujourd’hui des dizaines de jeunes auteurs qui produisent de belles choses en tamazight. J’échange parfois avec des jeunes auteurs, des poètes, des romanciers et des traducteurs, et j’avoue que le forum littéraire amazigh a beaucoup changé. Il y a aujourd’hui une génération prometteuse qui ne recule pas et croit à ses attentes.
Grâce à cette volonté et à l’encouragement de nos anciens auteurs sur les réseaux sociaux, je vois des perspectives enrichissantes. Permettez-moi de prendre l’exemple de Da Amar Mezdad qui est actif sur les réseaux sociaux et ne cesse guère d’échanger avec les jeunes auteurs et les diriger. Je trouve cette complicité juste merveilleuse et me paraît rassurante pour pas mal d’auteurs. D’autres part, une telle coopération »père/fils » est importante aujourd’hui dans l’espace littéraire amazigh. Un autre phénomène à saluer, c’est le cas de pas mal de licenciés et de professeurs de tamazight qui animent des sites culturels sur le net, des émissions littéraires et des débats sur la littérature amazighe.
Je suis parfois des amis sur Facebook qui animent des rencontres littéraires et des débats sur des nouvelles parutions en tamazight. Malheureusement tout cela se passe en silence! Ces jeunes créateurs, majoritairement des licenciés en tamazight, méritent donc un grand encouragement car ce qu’ils font est intéressant. Nous devons à eux le mérite de porter le flambeau grâce à leur engagement pour sauvegarder la culture et la littérature amazighes.
Leur engagement, d’une approche intelligente, est pacifique, sincère et surtout profond. C’est grâce à leur travail aujourd’hui, que la littérature amazighe se constitue, s’évolue et assure son avenir.
Vous avez des travaux en chantier ? Des projets qui vous tiennent à cœur?
Je pense que je n’ai pas de projet particulier en dehors de mon cursus universitaire. Je ne traduis plus en tamazight comme auparavant car pour le moment je me concentre sur mon projet de doctorat que je prépare en co-tutelle entre l’Inalco et l’université de Francfort. Je rédige ma thèse de doctorat en conduisant une analyse critique de discours sur les sphères culturelles et politiques qui paraissent sur les médias multilingues amazighs en ligne.
Ma thèse porte donc sur les interactions entre le journalisme en ligne et l’espace littéraire amazigh. En plus d’être chargé de cours à l’université de Goeth-Francfort, je travaille partiellement dans un projet de l’université qui se focalise sur l’apprentissage de langue chez les jeunes de Francfort d’origine amazighe (nord-africaine). Sinon il y aura prochainement des conférences universitaires auxquelles je donnerai des communications autour de la thématique de ma thèse.
Entretien réalisé par Tahar Ould Amar