Laceb Djamal vient de commettre Taleṭat, mystères de la Main du Juif , son deuxième roman (Editions Frantz Fanon), après Nna Γni (Editions Imtidat). Pour cette récidive, l’auteur a choisi le français pour narrer Taleṭat dans un moule romanesque. C’est ainsi que son éditeur annonce l’évènement : Taletat. Mystères de la main du Juif, un roman étincelant qui ré-interroge avec une originalité déconcertante les lieux de la culture berbère et les mystères d’une langue qui a résisté aussi bien aux bourrasques du temps qu’aux accidents de l’Histoire. Dans ce roman, Djamel Laceb a réussi bien des prouesses dont celle, imposante, de faire parler une pierre: La main du Juif qui plane sur la Kabylie. »
Percerait-on les mystères de Taleṭat, après lecture  du roman ? Peut-être, mais il va falloir l’acheter et le lire.
En attendant, « écoutons » Laceb Djamal, il nous en parle :

Tangalt : Votre premier roman, « Nna Γni » (paru aux Editions Imtidad) est écrit en kabyle. « Taleṭat, mystères de la Main du Juif », votre second roman (paru aux Éditions Frantz Fanon, la semaine dernière) est écrit en français. Pourquoi ? Des deux langues, quelle langue vous permet d’aller le plus loin dans la narration et surtout dans le Dire ?

Djamal Laceb : C’est un projet qui date d’avant Nna Γni, d’ailleurs le lecteur averti trouvera des allusions à ce véritable handicap de ne pas pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle. Un des personnages principaux exprime sa désolation devant ce qu’il appelle « Désertion », ce qui est un peu le cas au vu des obstacles que l’écrivain en tamaziɣt rencontre. Obstacles qui peuvent souvent le conduire très loin …

En ce qui concerne le fait d’aller loin dans la narration et le dire, comme le chante Lounis Ait Menguelet c’est une autre histoire. Contrairement à l’idée reçue, écrire en kabyle m’a donné une réelle possibilité d’explorer plus profondément mon imaginaire et de construire un raisonnement plus proche de mon authenticité vécue. Plus que cela, et dans ce cas de figure j’invite les connaisseurs, nos scientifiques et philosophes à explorer plus profondément le problème qui suit : Écrire en kabyle m’a permis, ainsi qu’à beaucoup d’autres, de me débarrasser de cette tête toujours penchée au-dessus de l’épaule de l’écrivain, qu’est le surmoi et qui joue le senseur ! Le raisonnement intérieur est simple, il consiste en cette réflexion libératrice que notre composition ne sera pas lue par nos parents et autres proches devant qui la pesante tradition ne permet aucun écart de langage.

Après la sortie de Nna Γni, beaucoup d’amis ne pouvant lire en tamazight, faute de formation, me demandent encore aujourd’hui de le traduire ! Or, à bien y réfléchir « Taleṭaṭ » contient beaucoup d’idées déjà exprimées dans Nna Γni, il en est la base puisque débuté en premier. L’idée de réinvestir le texte qui date de 2007 parut comme une évidence et le constat qu’il reste toujours d’actualité, en sus de m’encourager à le publier, me permet de mesurer parfois la stagnation de notre société et quelques fois sur certains sujets une régression nette !

En se référant au titre de votre nouveau-né, on se dit que Laceb Djamal est revenu à la charge de la bibliographie avec une œuvre traitant de l’histoire du fameux Rocher et de la région où il est implanté. Il s’agit en fait d’un roman. Taleṭat y est vraisemblablement un « personnage » important.  Comment vous est-elle venue l’idée de faire parler un rocher ?

L’hésitation d’en faire un essai m’a longtemps taraudé. J’ai finalement opté pour cette voie royale qu’est le roman tout en parsemant le texte d’informations puisées dans mes lectures et autres sources dont la tradition orale n’est pas des moindres. Sans oublier l’apport indéniable de mes fréquentations à l’exemple de mon ami Mustapha Riadh Bellamri avec qui je partage les mêmes thématiques en lecture et le même penchant pour l’histoire de l’Egypte antique ainsi que pour la Mythologie. Dda Sliman Harbi, un romancier génial « très atteint lui aussi de paréidolie », qui publia son premier roman il y a 40 ans*, et qui malgré son grand âge me permet encore de le tarauder de questions et consacre énormément de son temps à trouver quelques réponses dans son immense bibliothèque. Il y a beaucoup de faits que l’historien rigoureux pourra contester, mais un fond de vérité vient consolider le tout pour insuffler au lecteur des questionnements. Ce qui est le but ultime du roman.

Il ne faut pas oublier que c’est de la fiction et l’idée de faire parler « Taleṭaṭ » ne m’a jamais traversé la tête puisque ce rocher parle de lui-même, il suffit de tendre l’oreille et de regarder dans la bonne direction.

Le roman est, par définition, un récit fictif. Or Taleṭat du Mons Ferratus est bel et bien réelle et ses « mystères » nous interpellent. Quelle est la part de l’historicité dans « Taleṭat, mystères de la Main du Juif » ?

Dans ce roman il y a quelques intrigues, il y a un village, des personnages qui interagissent et qui discutent. C’était l’idée qui m’a permis de donner un peu de fluidité à un texte au départ trop rigide. Il y a aussi les (ou le) narrateurs, qui ont chacun un angle de vue. L’un d’eux justement est là pour contredire, pour ramener le débat, à chaque fois, sur la question de la vérité. Mais laquelle de vérité ? La vérité selon les sources établies ailleurs reste indétrônable au mépris de l’évidence, ainsi le rapprochement linguistique entre la langue égyptienne antique, celle des pharaons, et le kabyle est occulté et ceci malgré sa réalité établie depuis longtemps… ajoutez à cela la dissimulation qui frappe certains travaux d’égyptologues pourtant reconnus à leur époque !

Les quelques sources sur lesquelles s’appuient la théorie du roman car il y en a une sont mal connues ! heureusement que l’internet permet actuellement de les consulter, de les télécharger et de les imprimer.

Bref, beaucoup de choses rapportées dans « Taleṭaṭ » sont historiquement vérifiables mais pour cela un effort supplémentaire est demandé.  Comme tout ce qui a trait à notre culture ; ce n’est pas donné !

Vous faites partie des membres chargés de l’organisation du Salon du Livre Amaziɣ de Ouacif , prévu pour fin septembre. La culture vécue chère à Mammeri passe des moments difficiles, s’agissant notamment de Cafés littéraires et Salons de livres. Ne pensez-vous pas que le silence de nos intellectuels, les écrivains tout particulièrement, est complice ?

Souvent le silence est une prise de position ! Il est vrai que nous sommes dans une période très délicate, il se passe tellement de choses, trop souvent horribles, à l’exemple des incendies qui ravagent tout y compris des vies humaines, que l’intellectuel se pose vraiment la question de savoir à quoi bon servira sa prose.

Manifester son soutien par un post sur les réseaux sociaux, est-ce suffisant pour se disculper, comme nous savons si bien le faire. Et si parmi nous certains ne sont pas portés sur cette façon d’agir je crois qu’il ne faut pas se presser pour condamner.

L’intellectuel se doit d’être à l’avant-garde de la société, prévenir des dérives avant qu’elles ne deviennent réalité et dénoncer au bon moment, alerter les consciences … Or tout cela se faisaient à une certaine époque où la Parole publique n’était pas donnée à quiconque !  Jusqu’à il n’y a pas aussi longtemps que ça il y avait des journaux capables d’analyses et la panacée c’est que cela se vendait bien et les gens achetaient et surtout lisaient pour se faire une opinion, des journaux télévisés à l’audience nationale capables de défaire des despotes en modelant l’opinion… La fameuse opinion publique que l’intellectuel fécondait seulement, qui par un discours enflammé, qui par une chanson engagée, par un brulot, un pamphlet, un poème, un roman…  Aujourd’hui nous sommes en plein mutation ! les usines où se fabriquaient l’indignation, le blâme ou l’encouragement ont perdu leurs plateformes qui se sont brisées en une multitude de posts et d’écrans individuels.

Aujourd’hui l’avis d’un influenceur bien sapé maniant la rime saccadée du rap vaut plus que la réflexion mesurée du plus grand des philosophes ! Si la transition s’est bien passée pour les consommateurs que nous sommes en majorité il n’en va pas de même pour nos intellectuels. Nos producteurs d’idées agrippés à leur mode d’expression habituels sont comme décollés des réalités. Il n’y a pas longtemps on se donnait le temps de réfléchir profondément, de composer un poème de lui composer une musique et de sortir un album une année après le fait qu’on dénonce et les gens se contentaient d’attendre ce qui augmentait le plaisir de l’écoute une fois l’œuvre publiée, idem pour les écrivains et autres faiseurs d’opinion.

Aujourd’hui l’outil s’est mis à l’instantané ! Le public aussi mais nos quelques producteurs d’idées sont loin de cette célérité toute nouvelle.

Ceci dit ce n’est qu’un moment difficile à passer, comme le passent toutes les autres cultures à travers la terre, il suffit pour s’en rendre compte de voir le malaise des artistes de par le monde.

Personnellement, je préfèrerais toujours perdre un peu de temps que de perdre des Hommes, surtout si ces derniers sont des intellectuels. C’est une espèce rare, presque en voie de disparition et il incombe à toute société qui se respecte de les protéger car comme toutes les bonnes choses, comme toutes les belles choses, c’est trop fragile pour aller à la fontaine à chaque fois ! Ne dit-on pas : Tant va la cruche à l’eau …

La profusion de cafés littéraires et autres salons du livre est un indice de bonne santé mentale de la société. Il est vrai que cela pourrait déranger certains qui croient avoir intérêt dans l’engourdissement des consciences mais je suis certain que ce n’est qu’une transition qui ne saurait tarder.

Tangalt vous propose l’espace expression-libre pour dire ce qui vous tient à cœur

Merci à Tangalt d’exister et bon courage pour la suite. Nous savons tous que le chemin est difficile et nous mesurons l’importance et la grandeur des efforts pour rester sur la même ligne de dignité et de qualité tout en veillant aux principes. Azul !

 Entretien réalisé par Tahar Ould Amar

*« La malédiction de la mule noire ».