Daniel-Djamal, vivant en Scandinavie, militant de la cause kabyle, co-auteur de Tixudas n Saɛid Weḥsen paru aux Éditions Achab, 2007 (adapté de Fourberies de Scapin, de Molière), membre de l’ACB Paris et compagnon d’atelier d’adaptation de Muhya (1999-2004) a répondu à la demande de l’ACB Paris l’invitant à rappeler à la souvenance 1980 et 2001, à l’occasion de l’inauguration du Square Idir qui a eu lieu avant-hier, dans le 20ème arrondissement. Daniel-Djamel, que l’on lira bientôt sous le nom de plume Dan-Aab, leur enverra le témoignage suivant :
« Ni les décennies, ni les coups n’arriveront à me faire oublier ces dates sacrées de 1980 et 2001.
Et de même qu’on se souvient de l’endroit exact où l’on se trouvait lorsqu’un événement mondial a lieu, le souvenir du premier 20 avril, est imprimé dans mon être entier de façon indélébile, voici 44 ans.
D’abord dans mon esprit:
J’avais 15 ans, collégien en troisième (3ᵉ) dans le fief même du regretté Idir à At-Yanni, où lui-même a été scolarisé avant moi étrennant déjà ma toute première manifestation, avec le privilège de porter l’une des banderoles en tête de file, ce au péril de sanctions valant à l’époque, exclusion définitive du cycle éducatif.
Sur la banderole était écrit : « Et le berbère n’est-il pas une langue à part entière ? ». Et comment !
Nous étions internes, en grande majorité meurtris par l’attaque de nos aînés étudiants à Oued-Aïssi à 35 kms de là. Nous étions des pupilles et ils étaient notre fierté, nos héros et brulions de marcher dans leurs pas. Cette lâche agression en pleine nuit du campus universitaire par les autorités, après le déni à Mouloud Mammeri de tenir conférence, réprimait la réaction d’orgueil qui s’en était suivie et c’était l’étincelle.
Une étincelle qui après avoir allumé le feu, a par la suite éclairé nos esprits pour porter à la place qui lui revient, notre belle langue, notre culture millénaire avec force-revendication. Au prix du sang qui s’est répété 20 ans plus tard en avril 2001.
Admis au lycée et toute l’année durant, ce fut:- passage sous le burnous, avec peur au ventre et exaltation, du tout premier Amawal (dictionnaire kabyle) interdit, -partage des rares cassettes de Muhya – et distribution de tracts sentant encore l’alcool de la Ronéo, acheminés clandestinement par des courageux bonhommes depuis les AG des facs de Tizi et Alger, pour préparer de nouvelles manifestations, depuis Fort National cette fois-ci.
En représailles 9 mois plus tard, j’ai dit adieu à ma classe de seconde filière Sciences Bilingues, quand, étiqueté « perturbateur » et au vu des trop nombreux cours séchés à dessein, on me « reversa » en classe de première: Lettres Arabisées, vilement rétrogradé pour compromettre mon avenir. Moi l’orphelin qui voulait devenir médecin, je ne verrais pas les bancs de la fac de médecine. Mais je n’ai pas abdiqué.
Puis dans mon corps:
J’ai encore les douleurs fantômes des coups de matraque de l’haineuse P.M (Police Militaire) tant, nombreux furent les barrages, nous empêchant de grossir les rangs des rebelles à Tizi, en partance pour Alger afin d’en découdre.
Au lycée, nous étions un groupe d’une quinzaine d’activistes et en témoins intemporels, quelques-uns ont aujourd’hui, même voué leur vie à la diffusion de cette culture à l’échelle nationale en journalistes ou écrivains en langue Kabyle : Muhend-Uremdan Abdenbi, Tahar Ould-Amer et d’autres à leur façon, Mustapha Md-Yahiaoui, Waamer Djaoui, Youcef Slamani…moi-même, futur bénévole à Radio Tiwizi et membre actif à l’ACB 10 ans plus tard en France et d’autres dont j’oublie le nom.
Une poignée d’adolescents qui rêvaient en grand leur identité, étouffés par les hauts murs de leur internat et le joug de l’autorité, sans pitié envers notre belle région. 15 ans, la fin de l’innocence déjà et le rêve brisé.
Un tel combat n’est jamais vain, il honore nos morts et celui de la trop longue liste de détenus dont les fameux 24, ont été les majors. Inoubliables seront les valeureux serviteurs. Muhya, Haroun, Kateb, Zenati, Guermah…et le plus écorché: le défunt Lahsene Bahbouh, hélas déjà engeôlé en 1980 et parti cruellement en 2015, avec secret et feu au ventre le regard perçant, insoumis.
De par leur torture, résonnent encore aujourd’hui les détestables et redoutés noms de Berouaguiya, Tazoult-Lambèse et autre. La peinture n’effacera jamais leur sang giclé sur les murs.
Gloire à nos martyrs ! et notre devoir est de les garder dans nos cœurs, pour que cette langue vive pour l’éternité.
Dan-Djam Ab.