Par Nadia BERDOUS

Résumé :

Ce qui suit porte sur la problématique de la dénomination de tamazight à l’école algérienne et ces conséquences sur les objectifs assignés à l’enseignement de cette langue. En effet, dans les textes officiels, même les praticiens (enseignants, inspecteurs) dénomment « tamazight » cette langue enseignée alors qu’elle n’existe pas comme langue, elle n’est parlée par personne en Algérie.
Les élèves apprennent en classe dite « de tamazight » le kabyle (90%); le chaoui, le targui…Cet enseignement qui se veut unificateur, au contraire, a amplifié les divergences entre les différentes variantes. Le kabyle se distancie des autres variantes de tamazight, il s’est inscrit, depuis plus d’un siècle, dans un processus d’élaboration linguistique.
Cette élaboration s’est accentuée avec l’introduction de tamazight dans le système éducatif et l’inscrit dans le processus d’individuation sociolinguistique.
Pourquoi choisir une dénomination unifiée et globalisante pour un enseignement de plusieurs variantes différentes et qui affichent des dynamiques différentes ?

Mots clés : Unité et diversité de tamazight, Élaboration linguistique, élaboration didactique, individuation sociolinguistique.

1- La dénomination « enseignement de tamazight » ?

Le choix de la dénomination « langue tamazight » par les instances officielles, et même par le mouvement de la revendication comme dénomination officielle de cette langue enseignée, ne peut être fortuit. Il répond certainement à certains objectifs que nous ne pourrions pas explorer à travers cette communication, cela n’est pas notre objectif, nous nous contenterons de nous limiter à quelques hypothèses qui pourraient expliquer le choix du nom tamazight pour désigner officiellement cette langue :

  • La première hypothèse est en rapport direct avec l’enseignement et la pédagogie. Les langues enseignées à l’école algérienne sont des objets homogènes avec des noms officiels et une norme qui sert de référence dans les apprentissages. L’enseignement de tamazight doit s’inscrire dans cette conception de « une langue = une norme ». Mais tamazight une langue plurielle et pour qu’elle devienne objet enseignable a besoin d’être homogénéisée et harmonisée : « A partir du moment où une langue a un nom, elle devient un objet homogène, non plus un ensemble dans un diasystème, mais objet de politique linguistique, d’éducation, enjeu de la constitution d’un État-Nation.»1. Ce besoin d’une norme pour enseigner tamazight pourrait expliquer le choix des instances officielles de puiser dans la thèse « d’une (seule) langue berbère » (tamazight).
  • La deuxième hypothèse est la revendication identitaire des années 1990 (car précédemment, durant les années 80, on parlait de langue berbère) qui a mis en avant l’éthnonyme globalisant « amazigh – tamazight » pour désigner cette langue. Il a participé à sa diffusion à travers les différents discours et slogans : « Tamazight di lakul = tamazight à l’école », était le slogan de l’année du boycott scolaire en 1994/1995. Ce slogan a été diffusé oralement, par écrit et a été repris par des milliers de personnes. « Tamazight tutlayt tunṣibt taɣelnawt = tamazight langue officielle et nationale », qui était le slogan de l’année 2001, l’année qui a été marquée par les évènements du Printemps noir, l’origine de la constitutionnalisation de tamazight,
  • Enfin la troisième hypothèse qui pourrait expliquer ce choix est la thèse de l’unité de la langue amazighe qui a été posée avec les premières explorations linguistiques menée depuis Venture de Paradis2.

2-L’unité et la diversité de tamazight.

L’unité et la diversité de la langue amazighe est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs linguistes présentent cette unité de tamazight comme une donnée incontestable. Elle est saisissable à tous les niveaux de la langue : lexical, morphologique et syntaxique. Aussi, plusieurs auteurs, depuis Venture de Paradis jusqu’aux jeunes chercheurs d’aujourd’hui, ont affirmé et réaffirmé cette unité :

« Cette idée a d’ailleurs des racines historiques et scientifiques lointaines. La thèse de l’unité linguistique berbère est posée bien avant la colonisation : les premières explorations linguistiques, comme celle de Venture de Paradis (menée en 1787-88 et publiée en 1838), reconnaissent déjà le chleuh du Maroc et le kabyle comme dialectes d’une même langue(…) Le degré d’unité (notamment grammaticale) des parlers berbères est tout à fait étonnant, eu égard aux distances et vicissitudes historiques3.»

En effet, même avec l’absence de prise en charge institutionnelle efficace (absence d’instance de normalisation, absence d’enseignement sérieux…), et malgré la dispersion géographique et les changements socioculturels de la société algérienne, cette unité demeure toujours repérable notamment au niveau morphosyntaxique.

Néanmoins, la langue berbère/tamazight connait une forte variation et concerne aussi tous les niveaux de la langue : la phonétique, le lexique et, dans une moindre mesure, la morphosyntaxe :
«…la langue berbère, réalité purement linguistique, se réalise sous la forme d’un certain nombre de dialectes régionaux, qui eux- mêmes s’éparpillent en une multitude de parlers locaux. Seul le parler présente une homogénéité linguistique quasi parfaite et est donc susceptible d’une description-définition interne (linguistique) précise. Il correspond normalement à l’usage d’une unité sociologique élémentaire, village ou tribu4. »

Réellement, cette langue dite « tamazight » n’existe pas en tant que telle, objet linguistique identifiable, elle n’existe qu’à travers ces variantes/dialectes et parlers différents: « ce concept de « langue berbère » ne recouvre aucune réalité : « c’est un objet linguistique qui désigne l’ensemble des variétés berbères naturelles »5. Miloud Taïfi présente cette langue berbère/amazighe comme :

« Une construction pyramidale dont la base est constituée par les parlers locaux et le sommet par ce que l’on convient d’appeler la langue berbère dont le nom de plus en plus utilisée est le tamazight. Les faces de la pyramide représentent les supra- systèmes qui sont naturellement moins nombreux que les parlers.6. »
Tamazight connait une forte variation qui s’accentue de plus en plus avec le manque de contact entre les groupes berbérophones et la politique d’arabisation mise en œuvre depuis 1962. Les variantes de la langue tamazight, dites aussi langues par certains linguistes, se distinguent de plus en plus sur le terrain par des appellations différentes (chaoui, kabyle, mozabite, targui…), et aussi par leurs différentes dynamiques. Même la reconnaissance de tamazight comme langue nationale et son introduction dans le système éducatif renforcent la distanciation au lieu de la réduire, comme c’est acté dans tous les textes officiels qui ont accompagné cet enseignement. Cet acquis de la revendication identitaire fragilise l’unité linguistique, et l’idée ou plutôt la thèse de « langues berbères / langues tamazight » commence, une nouvelle fois, à gagner du terrain.

À suivre

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