Le Printemps Berbère est sans aucun doute l’événement majeur, un repère, une date-phare à partir de laquelle la revendication amazighe a pris des ailes et a fait boule de neige pour aller éveiller la conscience identitaire dans l’ensemble des territoires de Tamazgha où elle était (et l’est toujours, par endroit) aliénée.

Depuis son avènement en 1980, il ne se passait pas un anniversaire sans que tout naturellement le pavé ne devienne le réceptacle de revendications allant crescendo mais fondamentalement d’essence démocratique et  pacifique. L’on n’avait pas besoin d’attendre que tel ou tel parti appelle à la marche pour que cela advienne. Toutes et tous se sentaient concerné(e)s par le devoir mémoriel. Chaque  Vingt Avril, placettes, rues, abords d’universités accueillaient le fameux emblème amazigh et autre banderole soulignant la détermination d’un peuple à « aller dans le sens de sa libération ». Un tribut quasi décennaire a été payé pour en arriver à la reconnaissance constitutionnelle de tamazight.  Le lourd tribut consenti et la force de la conviction  citoyenne finiront par payer : tamazight est reconnue langue nationale et officielle. Même « théorique », l’acquis est là.

La cinquième mandature d’un Bouteflika  virtuel annoncée fera déborder le vase de la colère jusque-là contenue.  La colère revendicative confinée d’habitude dans le centre du pays, essentiellement en Kabylie, fera tache d’huile.  De grandioses marches étaient « organisées », chaque vendredi, dans les quatre coins du pays. Femmes, enfants, sourire, humour…donnaient des couleurs arc-en-ciel à la  révolution baptisée « révolution du sourire ». On n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles. « Ǧazayer ḥura, dimuqratiya ! », s’époumonaient les Algériens. L’emblème amazigh est hissé en dehors de la Kabylie. Pince-moi que je me réveille ! Les aspirations d’Avril 80 étaient-elles en train de prendre formes ? Mais c’était compter sans la bêtise : le général Gaid Salah, maitre de céans d’alors, interdit l’emblème amazighe dans les marches.  De leur côté, en embuscade et ne désespérant pas de se refaire une virginité, les intégristes surfent sur la généreuse vague et peaufinent des slogans ambigus : « madaniya, mačči ɛeskariya !». Ils n’assumaient pas : « madaniya, dimuqratiya, mačči ɛeskariya, mačči islamiya ! ». Puis, des têtes inconnues sur le terrain de la revendication, mais largement médiatisées sortent du  chapeau melon. La fin en queue de poisson du « hirak » était inéluctable. L’âme et les convictions  printanières n’y étaient pas. Il s’agissait  d’un mirage (le qualificatif est de Sadi)  dans un désert asservi. S’en suivra une pandémie qui donnera suffisamment de temps aux concepteurs du « Hirak Al Mubarek » pour faire  taire la révolution citoyenne.

L’inébranlable Vingt Avril est, lui aussi, tu(ou s’est tu ?). C’est pour la troisième année de suite que le pavé du Printemps n’a pas été foulé, que les principes fondateurs d’une démocratie n’ont pas rappelé à l’ordre le pouvoir, que l’exigence effective de tamazight (langue, culture et identité) n’a pas été formulée, que…

Pendant ce temps, tamazight est confinée et est folklorisée dans les maisons de cultures, les cafés littéraires sont interdits, une opinion libre est justiciable …

Tatut (l’oubli) est destructrice. N’oublions donc pas le Vingt Avril. Autrement, Sadi Sadi aurait raison et matière à publier L’oubli comme rival.

Tahar Ould Amar