Tagrest urɣu, second roman de Mezdad est construit, tout comme ses autres romans, sur l’opposition lexico-sémantique dans le titre. Ce titre, fonctionnant à la fois comme seuil donnant sur l’univers narratif, clé d’accès et condensé thématique, expose d’une manière tout à fait remarquable aussi bien les conditions du temps de l’histoire racontée que l’état psychologique des personnages mis en action dans la trame narrative et les conditions sociopolitiques et historique constituant le socle des événements racontés.
Second roman du point de vue éditorial, il est toutefois, il est le premier dans le continuum narratif constituant la saga mezdadienne (de cinq romans) : Tagrest urɣu, Iḍ d wass, Ass-nni, Tettḍil-d ur d-tkeččem, Yiwen wass di tefsut.
Le texte de Tagrest urɣu se caractérise d’abord par les nombreuses digressions ponctuant la narration. C’est là un trait stylistique capital ; il est même une constance stylistique dans l’écriture romanesque de Mezdad. On pourrait croire que ces digressions n’ont pas d’incidences sur la structuration narrative et thématique du texte ; qu’elles assurent seulement la fonction temporisatrice de la narration, retardant ainsi la fin de l’histoire et de l’intrigue. Ce n’est pas du tout le cas. Bien au contraire, ces digressions assurent, outre la fonction citée juste à l’instant, d’autres fonctions structurantes du texte. Elles contribuent énormément à la peinture psychologique des personnages et aux conditions sociopolitique et historique des événements racontés ; ce qui donne aux personnages une unité et consistance particulières justifiant ainsi leurs comportements et leurs attitudes aux événements racontés une crédibilité et profondeur. En retardant la narration, ces digressions font de cette dernière une narration lente et permet aux discours (des narrateurs) de s’exposer. L’unicité stylistique de ce texte réside justement dans sa structure narrative.
Le texte de Tagrest urɣu se caractérise ensuite par la diversité de ses instances narratives. La narration de l’histoire est assurée par deux types de narrateurs. L’un est omniscient et unique racontant au début du roman, les épisodes de l’extérieur ; l’autre composé de plusieurs voix, celles de certains personnages, se situe à l’intérieur des séquences racontées. Cette diversité énonciative et narrative est à interpréter au plan discursif comme une technique (un procédé) permettant de donner un caractère objectif aux événements racontés (dans le cas de la narration de l’extérieur) et de légitimer le discours (dans le cas de la narration de l’intérieur). Cette légitimation est rendue possible grâce à la convergence des sentiments et des pensées des narrateurs qui racontent de l’intérieur de l’histoire les évènements (et surtout la menace qui guette Waɛli). Ces séquences sont narrées par des témoins oculaires ayant vécu les évènements qu’ils racontent. Contrairement aux premiers chapitres, les séquences narratives des derniers chapitres sont racontées par des personnages (Rabeh et Muhend, entre autres).
Quant aux chapitres intitulés Adlis n Waɛli, ils assurent, structurellement, la fonction démarcative des séquences narratives. Du point de vue discursif, Adlis n Waɛli est catalyseur ; il engendre les réactions, les attitudes et les comportements des autres personnages. Les insertions et leurs conséquences structurelles et fonctionnelles sur l’histoire racontée et suggèrent, par conséquent, une autre lecture, si on se place en sociologue du roman, de l’histoire de la révolution et du mouvement national.
Adlis n Waɛli, constitué des chapitres 3, 6, 10 et 14, joue aussi bien le rôle d’articulateur narratif que d’élément discursif structurant de l’histoire narrée. Chaque intervention de Waɛli, par le biais de son livre (Adlis) constitue à la fois la fin d’une séquence narrative et le début d’une autre. L’importance de ce choix narratif est de justifier, au plan thématique, que la mission dont sont investis Salem et ses compagnons n’est qu’un motif qui organise la narration de la liquidation de Waɛli.
Du point de vue de la cohérence textuelle, cette relation entre les chapitres constituant Adlis n Waɛli et le reste des chapitres de ce roman se présente comme une fresque où s’alignent l’un à côté de l’autre, fragment après fragment, des tableaux faisant histoire. L’écriture d’inspiration picturale, chez cet auteur, prend ici toute sa valeur et son originalité .
Quand à la langue du roman, elle est fluide et simple mais recherchée. Les néologismes insérés dans le texte trouvent leurs places sans grands obstacles au niveau de la compréhension. Le texte témoigne, enfin, d’un état d’esprit avec lequel l’auteur a abordé l’écriture de l’histoire. Ce qui suggère, à la lecture du roman, les conflits et la complexité des évènements du mouvement national et de la guerre de libération nationale.
Mohand Akli Salhi