« Évidemment le feu se mesure à l’eau, l’eau se mesure à la montagne, la montagne, le cavalier. Aujourd’hui, cependant, le cavalier se fait trahir par cette même santé et par ses jambes. », l’autrice avait-elle écrit en page 100. Et aussi « En temps de maladie, comme si celle-ci gruge dans les jours, racler le goût à la vie, déprécie même les nuits, pâlit le clair de lune qui accompagne la vie, fait de l’humain un grès, pour le heurter, l’effriter à devenir poussière, l’inhumer, quitte à ce qu’on se rappelle son nom demain, ceci n’est que des souvenirs. » (Page 70).
Ces extraits me rappellent une question d’un journaliste à un grand auteur de chez nous qui confirmait que, pour écrire, il s’inspirait des événements souvent vécus qu’il mettait à portée de ses lecteurs, aux goûts et aux couleurs de son temps. Ceci représente une esquisse de la vérité et des pistes que les historiens exploiteraient, quand il s’agit d’un témoignage d’auteur. C’est aussi le cas de « Tissirt » de Dalila Qeddac-Ccix. Elle a rapporté son témoignage romancé et celui de ses contemporains avec les outils universels de l’écriture, certes! Mais, surtout, dans une langue qui a, jusqu’il n’y a pas longtemps, été qualifiée d’immature, voire primitive, pour traduire une société.
Dans la préface d’Abdenour Abdeslam, nous lirons que « [l’autrice] a écrit dans un kabyle courant… Avec une limpidité telle : sans hésitation, ni embarras, ni embrouillage dans les idées. » et il a conclu par ce choix de Dalila à « épargner notre littérature du piège du brouhaha ».
Tout au long des cent cinquante pages, le narrateur en observateur averti nous a guidés sur trois paliers: de la jeunesse de Menzu, qu’on peut situer vers la fin des années 70, et ses aventures d’étudiant dans un contexte d’émigration. Le choc de la mort de son père à son retour. Sa vie active en tant que médecin et sa petite famille. Les péripéties de la décennie noire et son évasion d’entre les mains des terroristes. Et puis la nouvelle aventure au commencement de la révolution en Libye. En filigrane des multiples scènes, nous avons assisté à un déchirement familial répété, y compris à la dernière scène qui nous a laissés sur notre fin.
Le roman Tissirt, qui prend plus son sens dans son équivalent « la broyeuse » que dans « le moulin », est un texte d’une lecture fluide, sans encombre. Il est truffé de poèmes courts et il est caractérisé par des non-dits ou du moins admis par tous. L’autrice a exposé les maux sociaux ayant caractérisé les trois dernières décennies comme pour actionner une alarme de son vécu immédiat. Très imagées, les scènes du roman sont cadencées uniformément, sauf quelques raccourcis volontaires ou inconscients que nous trouvons un peu flagrants qui auraient sûrement avantagé le synopsis. Cela va sans dire que beaucoup d’expressions ont attiré notre attention par la force du verbe et de l’argument. Certaines peuvent s’élever au rang de proverbes. Des vocables spécifiques y sont aussi incrustés dans le but de les fixer et prolonger leurs vies dans l’écrit. Le lecteur notera évidemment les différentes figures de style, telles que, entre autres, les allégories, la personnification, les répétitions et les hyperboles qui démontrent le niveau de culture de son autrice et sa maîtrise de l’écrit.
Ma question aux futurs lecteurs et lectrices est de rechercher que représente et quelle image veut-elle nous faire passer à travers le titre « La broyeuse ».
Nnaṣeṛ Uqemmum.
2023-03-16
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Tissirt – Dalila Qeddac-Ccix, Éditions IMAL, 2022